6 octobre 2023
Comprendre le rôle du couvert de neige en forêt pour mieux prédire le risque d’inondation
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.
Un texte co-signé par Benjamin Bouchard, étudiant-chercheur au doctorat en génie des eaux, Université Laval, Daniel Nadeau, professeur titulaire en hydrologie des régions froides, Université Laval et Florent Dominé, professeur de chimie, Université Laval.
Un couvert de neige tapisse la forêt boréale du Québec pendant plus de six mois par année. Bien qu’il soit essentiel pour l’équilibre de nos écosystèmes, il peut cependant représenter une véritable épée de Damoclès pour les populations en aval des bassins versants forestiers.
Les inondations majeures du printemps 2023 dans la région de Charlevoix en sont un bon exemple.
L’hiver dernier, le bassin versant de la rivière du Gouffre, recouvert à près de 75 % de forêts, a accumulé pendant tout l’hiver une quantité importante de neige. Combinée à un événement de pluie extrêmement intense, la fonte de ce couvert de neige a contribué à faire sortir la rivière de son lit, causant des inondations sans précédent à Baie-Saint-Paul.
Dans le cadre de mon doctorat à l’Université Laval, en collaboration avec Sentinelle Nord, je m’intéresse à l’impact des propriétés du couvert de neige sur l’hydrologie des bassins versants en forêt boréale.
La pluie comme vecteur d’énergie
Comme nous l’avons vu au printemps 2023, les épisodes de pluie en présence d’un couvert de neige peuvent mener à une augmentation soudaine du niveau d’eau des rivières. Une raison expliquant ce phénomène est que l’eau de pluie transfère de la chaleur vers la neige.
Un échange de chaleur survient entre la pluie et la neige lorsque leur température est différente. La neige se réchauffe alors, et la pluie se refroidit. Une fois que la neige a atteint une température de 0 °C, toute chaleur additionnelle provenant de la pluie provoque de la fonte.
Ainsi, un couvert de neige près de 0 °C, fréquent au printemps, et une forte pluie à température élevée sont des conditions propices à ce que l’eau de fonte et l’eau de pluie contribuent à augmenter le débit ainsi la probabilité d’une inondation. Ceci ne peut toutefois survenir que si l’eau ainsi produite peut s’écouler facilement dans le couvert de neige.
Au contraire, un couvert de neige froid combiné à une faible pluie à basse température peut mener au gel de l’eau de pluie dans la neige. Cette eau restera donc piégée dans la neige et ne présentera pas un risque d’inondation.
Après tout, les échanges de chaleur vont dans les deux sens !
Le couvert de neige, un milieu à la structure complexe
Le couvert de neige est un milieu poreux loin d’avoir des propriétés physiques uniformes. Celui-ci correspond plutôt à un empilement de couches de neige qui représentent l’historique des événements météorologiques de l’hiver. L’eau de pluie doit percoler à travers toutes les couches de neige pour se rendre au sol, et éventuellement atteindre le cours d’eau.
Certaines couches limitent l’écoulement d’eau dans la neige, comme les couches de grains fins ou les couches de glace. En revanche, les couches de grains grossiers facilitent l’écoulement en raison de la présence de pores plus gros. Ils permettent ainsi à l’eau de pluie et de fonte d’atteindre rapidement le sol.
Le rôle de la forêt
La structure du couvert neigeux influence le risque d’inondation. Mais quel est l’effet de la forêt sur la structure de la neige ?
En interceptant une partie des précipitations solides, les arbres limitent l’accumulation de neige au sol, ce qui contribue à la croissance des grains et des pores du couvert neigeux au sol par flux de vapeur d’eau. De plus, la décharge de neige interceptée par les arbres sous forme solide ou liquide augmente l’hétérogénéité du couvert neigeux. Ces processus favorisent un écoulement rapide de l’eau dans le couvert de neige se formant sous les arbres.
Partout pareil ?
Or, la couverture forestière est loin d’être uniforme en forêt boréale. Elle s’apparente davantage à une végétation clairsemée avec des zones dépourvues d’arbres que l’on nomme trouées. Dans ces trouées, la structure du couvert neigeux est fortement contrastée à ce que l’on retrouve sous les arbres.
Une accumulation de neige plus importante dans les trouées favorise le tassement des couches de neige et la formation de grains fins. De plus, des cycles journaliers de regel en surface mènent à la formation de couches de glace peu perméables.
Le couvert neigeux dans les trouées est donc moins favorable que celui sous les arbres à la percolation d’eau vers le sol.
Mais cela signifie-t-il pour autant que la présence de trouées réduit le risque d’inondations ? Pas tout à fait.
La neige fond plus vite dans les trouées
La structure du couvert de neige est un facteur parmi d’autres qui influent sur les inondations. Un sol gelé, qui limite l’infiltration, ainsi qu’une fonte rapide de la neige, contribuent également à augmenter le risque d’inondation.
Dans les forêts boréales du Québec, bien que le sol ne gèle pas dans les trouées en raison du caractère isolant du couvert de neige, le taux de fonte y est largement supérieur car le rayonnement solaire y est plus fort que sous les arbres, particulièrement au printemps.
Malgré qu’il y ait davantage de neige qui s’accumule dans les trouées, celle-ci prendrait donc moins de temps à fondre et atteindrait le cours d’eau plus rapidement que celle sous les arbres, ce qui augmente le débit de crue et donc… le risque d’inondation.
Un couvert neigeux plus épais dans les trouées, et des couches de neige plus perméables sous les arbres ont donc contribué à ce que la rivière du Gouffre inonde Baie-Saint-Paul lors de la pluie extrême du printemps 2023.
Les épisodes de pluie comme celui-ci continueront d’augmenter en fréquence avec le réchauffement climatique. Une connaissance accrue des interactions entre le couvert de neige et la forêt aideront à améliorer les modèles hydrologiques et ainsi assurer la protection du public face aux inondations.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.