Le lac A, situé sur l’île d’Ellesmere dans le Haut-Arctique canadien, est isolé du monde depuis des millénaires. « C’est en quelque sorte un monde perdu, préservé de toutes perturbations anthropiques. Les conditions environnementales sont particulièrement propices pour l’étude des microorganismes et de leurs potentiels », souligne Adrien Vigneron, ancien postdoctorant dans l’équipe Sentinelle Nord du professeur Warwick Vincent, et Connie Lovejoy, de la Faculté des sciences et de génie.
L’équipe a découvert la nouvelle famille de microbes à la suite d’un séquençage génomique du lac. Les scientifiques ont réalisé que le quart du microbiome dans les eaux les plus profondes était formé de microorganismes inconnus. « Leurs séquences génomiques n’avaient quasiment aucune correspondance avec les bases de données actuelles, ce qui nous a permis de conclure qu’une nouvelle espèce microbienne colonise les eaux profondes, salées et sulfuriques du lac », explique l’ancien chercheur postdoctoral.
D’autres analyses du génome ont permis d’en savoir plus sur ses singularités et ses capacités. Ces nouveaux microorganismes semblent être un contributeur majeur au cycle du soufre dans les eaux du lac A, relique de l’océan Arctique. Pour rivaliser avec les bactéries environnantes, ces microbes produisent un antibactérien. « Nos résultats indiquent que ces bactéries peuvent surpasser d’autres microorganismes en s’appuyant sur une combinaison de polyvalence métabolique et de biotoxicité », rapporte Adrien Vigneron.
Une biodiversité inédite
Cette découverte montre qu’il existe encore des groupes microbiens qui n’ont jamais été observés, et dont les fonctions inédites pourraient avoir un intérêt pour la recherche appliquée. « Ça confirme que les écosystèmes arctiques hébergent une biodiversité unique qu’il faut préserver », ajoute-t-il.
Après plusieurs échanges avec les habitants des villages nordiques proches du lac A, l’équipe a dénommé cette espèce microbienne « Tariuqbacteria », en se basant sur la base « tariuq » qui en inuktitut signifie « eau salée ou océan ». « C’était une manière de mettre en lumière les richesses du Nord et de conserver l’origine de cette espèce microbienne inédite », rapporte Adrien Vigneron.
Du point de vue de la recherche fondamentale, cette découverte a également permis de découvrir de nouvelles stratégies évolutives et des voies métaboliques originales nous permettant d’expliquer le succès écologique de cette espèce dans les eaux profondes du lac.
L’étude, intitulée « Discovery of a novel bacterial class with the capacity to drive sulfur cycling and microbiome structure in a paleo-ocean analog », a été publiée dans la revue scientifique ISME Communications.