13 juin 2023
Demandes anticipées d’aide médicale à mourir : voici comment d'autres pays l'encadrent
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.
Un texte co-signé par Christine Morin, professeure titulaire à la Faculté de droit de l'Université Laval, et Diane Tapp, professeure titulaire à la Faculté des sciences infirmières de l'Université Laval.
Comme dans toutes interventions, le médecin a la responsabilité de s’assurer que la personne consent à ce traitement de manière libre et éclairée. Le consentement est considéré libre lorsqu’il est donné de plein gré, c’est-à-dire sans subir de pression d’une tierce personne. Il est considéré éclairé lorsque la personne connaît les risques et bénéfices du traitement, ainsi que ses alternatives.
Pour le moment, la loi québécoise ne permet pas de demander l’AMM de manière anticipée, par exemple à la suite d’un diagnostic de maladie d’Alzheimer qui rendra ultérieurement la personne inapte à consentir aux soins. Cela changera d’ici deux ans, tel qu’annoncé le 7 juin 2023 par la ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, Sonia Bélanger. La ministre s’accorde effectivement ce délai pour mettre sur pied le processus de demandes anticipées d’AMM.
Nous sommes une équipe de recherche interuniversitaire comprenant des expertes en droit, en notariat, en soins palliatifs et en santé communautaire. Nous avons toutes réalisé des recherches empiriques et théoriques sur les enjeux complexes et interdisciplinaires entourant la prise de décision médicale anticipée.
En vue de contribuer aux discussions concernant le processus de demandes d’AMM anticipées, l’objectif de cet article est d’explorer brièvement comment les autres juridictions ayant légalisé cette pratique, soit les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et la Colombie, l’encadrent.
Notaires ou médecins ?
Dans le cadre de l’étude détaillée du projet du projet de loi 11, la Chambre des notaires du Québec (CNQ) a recommandé, dans un mémoire déposé le 15 mars 2023, que les demandes anticipées d’AMM soient formulées uniquement par acte notarié. Selon la Chambre, cette manière de procéder atteste du consentement libre et éclairé du demandeur.
La recommandation de la CNQ tranche avec celle émise par le Groupe d’experts indépendants sur la question de l’inaptitude et l’aide médicale à mourir en 2019. Ce comité a été constitué et mandaté par le ministre de la Santé et des Services sociaux pour examiner la délicate question de l’application éventuelle de l’AMM aux personnes devenues inaptes ayant préalablement fait une demande anticipée. Tel que rapporté dans La Conversation, le groupe d’experts a conseillé que la personne apte signe un formulaire prescrit par le ministre à la suite d’une consultation avec un médecin.
Pays-Bas : compétent dès 16 ans
Depuis le 1er avril 2002, aux Pays-Bas, l’article 2 du Termination of Life on Request and Assisted stipule qu’un patient âgé de 16 ans ou plus qui est apte à consentir aux soins peut rédiger une demande anticipée d’euthanasie (selon les mots employés dans ladite loi).
Si, à un moment ultérieur, la personne n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté due à un état de conscience altéré ou à un coma, un médecin peut accepter la directive anticipée en tant qu’équivalent à un consentement. Le médecin doit s’assurer qu’il n’y a pas d’alternatives raisonnables à l’euthanasie. Finalement, un comité examinateur (médecin, éthicien, juriste) évalue dans chaque cas spécifique si l’euthanasie a été pratiquée conformément aux critères.
Belgique : pour personnes inconscientes seulement
En Belgique, la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie permet à une personne apte de compléter une déclaration écrite dans laquelle elle demande l’euthanasie de manière anticipée. Cette déclaration écrite suit un modèle prévu par la loi où sont désignés obligatoirement deux témoins et facultativement des personnes de confiance.
Toute personne capable d’exprimer sa volonté, qu’elle soit majeure ou mineure émancipée, peut rédiger une déclaration anticipée. L’euthanasie, demandée de manière anticipée alors que la personne était apte, ne peut être pratiquée que si la personne est dans un état d’inconscience irréversible et incapable d’exprimer sa volonté. Ainsi, les personnes souffrant de démence qui ne sont pas inconscientes ne sont pas éligibles.
Avant de pratiquer l’euthanasie, le médecin a l’obligation de consulter un autre médecin à propos du caractère irréversible de l’état de santé du ou de la patiente, ainsi que les personnes de confiance mentionnées sur la demande s’il y a lieu.
Luxembourg : personne majeure et apte
Au Luxembourg, la loi du 16 mars 2009 sur l’euthanasie et l’assistance au suicide indique que toute personne majeure et apte peut manifester en avance ses dispositions de fin de vie et les circonstances et conditions dans lesquelles elle désire recevoir une euthanasie.
Les demandes doivent obligatoirement être enregistrées auprès de la Commission nationale de Contrôle et d’Évaluation. Le demandeur ou la demanderesse doit désigner une personne de confiance qui fera le lien avec un médecin traitant au moment opportun. Pour pouvoir avoir recours à l’euthanasie, le patient ou la patiente doit être dans une situation d’inconscience irréversible ou souffrir d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable. Ainsi, comme en Belgique, les personnes souffrant de démence qui ne sont pas inconscientes ne sont éligibles.
Colombie : approbation d’un comité
En Colombie, la résolution reconnaît la valeur d’une demande anticipée d’euthanasie depuis 2015.
Lorsqu’une directive anticipée est indiquée sur un document approprié, le représentant ou la représentante de la personne visée peut faire la demande en son nom au moment jugé opportun. Malgré l’existence d’une telle directive, le représentant ou la représentante peut retirer cette demande et choisir une alternative. Dans tous les cas, avant de procéder à l’euthanasie, la demande doit être approuvée par un comité composé d’un médecin spécialisé dans la pathologie de la personne visée autre que le médecin traitant, d’un avocat et d’un psychologue clinicien ou d’un psychiatre.
La juridiction diffère, mais la collaboration demeure
Les lois encadrant le processus de demandes anticipées d’aide médicale à mourir diffèrent d’une juridiction à l’autre. Toutefois, dans tous les cas, la collaboration interdisciplinaire et intersectorielle est nécessaire.
Si Québec choisit de suivre la recommandation de la Chambre des notaires, à savoir que les demandes d’aide médicale à mourir sont complétées uniquement par leurs membres, il pourrait être judicieux que ces derniers aient, au minimum, accès à des formations spécifiques. Il faut en effet s’assurer que leur client ou cliente connaisse de façon juste et précise le traitement proposé, en occurrence l’aide médicale à mourir, ses risques et bénéfices et les alternatives.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.