28 février 2023
Les technologies des registres distribués et de la chaîne de blocs en éducation
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.
Un texte de Abdoulaye Anne, professeur agrégé à la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval et de Yassine El Bahlouli, chercheur doctoral à l'Université Laval
La technologie des registres distribués (TRD) constitue une innovation stimulante.
Elle s’utilise dans de nombreux domaines, allant des contrats intelligents au vote électronique. Son usage le plus connu demeure la monnaie virtuelle « Bitcoin » et les autres cryptomonnaies utilisées pour réaliser des transactions financières ouvertes et sécurisées entre des personnes ou des entités. La technologie sous-jacente au Bitcoin est la chaîne de blocs, une forme de TRD.
Les cryptomonnaies connaissent cependant des ratés importants ces jours-ci, avec la chute vertigineuse de leurs valeurs et la faillite spectaculaire de la plate-forme de transactions de cryptomonnaies FTX.
Mais ce qu’on connaît moins, c’est que la technologie des registres distribués commence à prendre du terrain dans d’autres domaines de nos vies.
Selon l’Institut canadien des comptables agréés, CPA Canada, ces technologies sont puissantes au regard de leur potentiel de création de nouveaux modèles économiques et sociaux. Elles sont stimulantes en raison de leur complexité et des défis que leur pleine compréhension et leur utilisation adéquate présentent.
Experts en administration, en éducation et en innovation, nous proposons d’apporter un éclairage sur l’usage de ces technologies dans le domaine de l’éducation.
Qu’est-ce la technologie des registres distribués ?
La TRD est une technologie qui crée un grand livre numérique partagé qui permet à plusieurs acteurs de s’engager dans des transactions sécurisées et fiables, sans intermédiaire. Les données stockées ont la spécificité d’être cryptées, donc protégées, et permanentes. Chaque action de modification (ou de suppression) qui y est faite est enregistrée et conservée, assurant une traçabilité complète.
La TRD est une base de données répartie sur de nombreux ordinateurs sans contrôle central. C’est une structure de données constituée de blocs se composant de deux parties : l’en-tête et le corps, qui sont connectés sous forme de liste, et qui réalisent des transactions successives et stockent des données en utilisant le cryptage.
L’heure et la date des transactions sont également enregistrées.
De plus en plus populaires dans les services publics
De plus en plus de gouvernements utilisent la technologie afin d’améliorer l’efficacité de leur service public. Selon une enquête menée par la multinationale américaine IBM en 2017 auprès de leaders gouvernementaux de 16 pays d’Europe de l’Ouest et d’Asie du Sud-Est, 90 % d’entre eux déclaraient alors qu’ils prévoyaient investir dès l’année suivante dans la TRD afin d’accroître la transparence, la cybersécurité et l’efficacité de leurs transactions, ainsi que pour assurer la conformité à leurs règlements.
De nombreux pays l’ont déjà adoptée pour certains aspects liés à la légalisation, à l’identité, à la résidence électronique, à la santé, à la sécurité et à d’autres services administratifs : l’Estonie, la Suède et la Géorgie testent un service basé sur la chaîne de blocs pour les citoyens et les entreprises ; Dubaï a décidé d’intégrer des registres distribués dans l’ensemble de ses processus gouvernementaux et le Kazakhstan utilise une plate-forme d’appels d’offres publics basée sur la TRD pour assurer un haut niveau de transparence.
La technologie des registres distribués en éducation
Avec l’arrivée du numérique dans le monde de l’éducation, par le biais de l’apprentissage à distance, des classes intelligentes et des outils de gestion scolaire intelligents, la technologie a pris place dans les écoles et en définit en grande partie les évolutions actuelles. Les registres distribués s’inscrivent dans cette lignée.
Parmi les exemples concrets de l’usage en éducation des registres distribués, on retrouve :
le stockage des informations personnelles et d’identification des élèves et étudiants durant tout leur parcours ;
la certification de l’authenticité des diplômes ;
la lutte contre le plagiat au niveau des travaux scolaires, devoirs et articles académiques ;
l’accessibilité à un matériel pédagogique sécurisé et immuable ;
la mise en place des écosystèmes permettant aux apprenants d’avoir accès au matériel d’étude et de partager leurs projets et idées ; et
les contrats intelligents utilisés par les chercheurs universitaires pour conclure des accords numériques avec les étudiants aux cycles supérieurs pour la réalisation de leurs travaux.
Des avantages indéniables
Les écoles et universités peuvent aussi utiliser la TRD pour aider les enseignants à identifier rapidement les besoins éducatifs spécifiques de leurs élèves et personnaliser leurs apprentissages. Par exemple, le IMS Global Learning Consortium a mis en place des parcours personnalisés, soutenus par des données de blockchain, qui orientent les étudiants vers des opportunités d’apprentissage adaptées à chaque élève en fonction des connaissances et des compétences acquises.
Ces avancées technologiques permettent aussi de sécuriser le stockage des informations d’identification et les relevés de notes qui pourront ensuite être consultés par toute entité à qui l’étudiant souhaite accorder l’accès, garantir l’anonymat, la confidentialité et l’obtention d’une preuve décentralisée qui ne peut être effacée ou modifiée par personne et valider l’authenticité des diplômes et bulletins scolaires.
L’envers de la médaille
L’adoption de la chaîne de blocs vient cependant avec certaines contraintes qui pourraient constituer une barrière à son adoption. Celles-ci sont liées à :
l’induction d’un modèle de fonctionnement différent, qui oblige à réfléchir à la manière de la mettre en œuvre, du côté opérationnel ;
la réticence face à une nouvelle technologie que les gens ont du mal à comprendre ;
les attaques malveillantes et les fuites de données qui peuvent encore subvenir, même si la TRD offre une sécurité reconnue ;
la permanence les dossiers scolaires qui pourrait rendre difficile pour un étudiant en difficulté d’avoir une seconde chance ou de prendre un nouveau départ ;
le coût encore relativement élevé de l’infrastructure de gestion des données.
L’utilisation de la TRD dans le secteur de l’éducation en est encore à ses premiers pas avec une rareté des recherches disponibles. Si de nombreux travaux et initiatives laissent entrevoir un potentiel d’utilisation prometteur de cette technologie, ce potentiel est à exploiter avec attention, car le secteur de l’éducation est un service public et pas une entreprise à but lucratif.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.