5 septembre 2023
Les canicules engendrent des coûts. Voici pourquoi il est important de les quantifier
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.
Un texte co-signé par Céline Campagna, professeure associée à la Faculté de médecine de l'Université Laval.
Parmi les différents événements météorologiques extrêmes (inondations, tempêtes, feux de forêt), ce sont les canicules qui causent les impacts les plus importants sur la santé humaine.
Pour preuve, l’événement météorologique le plus meurtrier de l’histoire du Canada est un dôme de chaleur, c’est-à-dire des températures anormalement chaudes qui durent plusieurs jours, qui a touché la Colombie-Britannique en 2021 et qui a causé au moins 600 décès. En plus d’une augmentation de la mortalité, les chaleurs extrêmes causent davantage de consultations à l’urgence, de transports en ambulance, d’hospitalisations, d’appels aux lignes d’informations de santé, d’accidents de travail, ainsi qu’une mobilisation accrue des équipes d’intervention.
Les changements climatiques rendront les canicules de plus en plus longues et de plus en plus intenses. Leurs impacts futurs seront d’ailleurs exacerbés par le vieillissement de la population et par l’urbanisation croissante.
Dans ce contexte, il est primordial de pouvoir évaluer le fardeau sanitaire et économique que représentent les canicules d’aujourd’hui, mais aussi celles de demain. Or, à ce jour, on n’en connaît encore que très peu sur les impacts économiques de la chaleur extrême.
Pourquoi en savons-nous si peu ?
Les catastrophes naturelles comme les inondations, les ouragans ou les feux de forêt causent des dommages matériels aux résidences, aux entreprises et aux cultures agricoles. Comme ces pertes sont souvent remboursées par les assureurs ou par les gouvernements en cas de catastrophe, les données financières associées à ces événements sont plus facilement accessibles et connues.
À l’inverse, les chaleurs extrêmes affectent plutôt la santé de la population. Ces coûts sont donc enfouis dans les dépenses du système de santé ou assumés par l’ensemble de la société, ce qui les rend beaucoup plus difficiles à quantifier. D’ailleurs, on rapporte souvent que la chaleur extrême est un « tueur silencieux », tellement ses impacts sont méconnus et invisibles par rapport aux autres catastrophes naturelles.
Dans les dernières années, de plus en plus d’études ont tenté d’estimer les coûts associés à la chaleur extrême au Canada et ailleurs dans le monde. Par exemple, les prévisions des coûts annuels des décès prématurés liés à la chaleur ont été estimés à 3,0 à 3,9 milliards de dollars par année d’ici 2050 et de 5,2 à 8,5 milliards d’ici 2080 au Canada.
Bien qu’importantes et pertinentes, les recherches existantes ne s’intéressent souvent qu’à un seul impact de la chaleur sur la santé, soit la mortalité. Or, ses impacts sont divers et nombreux. De plus, l’échelle spatiale de l’analyse est souvent très grande (pays ou province), ce qui limite la possibilité d’effectuer des analyses coûts-bénéfices à des échelles plus locales. Finalement, les approches méthodologiques utilisées dans les études existantes pourraient être améliorées.
Possédant des expertises multidisciplinaires (science des données, hydrométéorologie, santé publique, actuariat), nous cherchons à évaluer les coûts de santé de la chaleur au Québec et au Canada avec des approches novatrices. Par exemple, nous avons récemment utilisé l’intelligence artificielle (IA) pour traiter les grandes bases de données météorologiques et médico-administratives, dans l’optique de mieux modéliser les impacts sanitaires de la chaleur. Ces travaux seront mis à profit et poursuivis pour quantifier le fardeau économique de la chaleur.
Pourquoi est-ce si important ?
Estimer les coûts de santé historiques et futurs de la chaleur extrême s’avère essentiel pour la mise en place de mesures efficientes et cohérentes dans la lutte climatique.
Du côté de l’atténuation, c’est-à-dire la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), des projections fiables des coûts de santé de la chaleur extrême permettraient d’exposer ce que doivent s’attendre à payer les autorités de santé ou la société en général si les émissions de GES continuent d’augmenter. Ainsi, la réduction des émissions polluantes pourrait être convertie en coûts de santé évités, et donc, en économies potentielles pour les gouvernements et la société. Un argument supplémentaire en faveur de la diminution des GES.
Du côté de l’adaptation, soit les actions à entreprendre pour limiter les conséquences des changements climatiques, les estimations des coûts de santé de la chaleur peuvent servir d’entrées pour des analyses coûts-bénéfices de mesures d’adaptation à mettre en place comme le verdissement ou la lutte aux îlots de chaleur. Dans ces analyses, les bénéfices seraient quantifiés par les coûts de santé de la chaleur évités grâce à ces mesures. D’ailleurs, comme ces actions sont souvent mises en place à l’échelle des quartiers ou des municipalités, des estimations de coûts aussi locales que possible sont nécessaires. À la clé, l’adaptation permettra de réduire les coûts maintenant, mais aussi dans le futur.
L’estimation des coûts de santé des canicules est d’une grande importance, mais a souvent été négligée dans le passé en comparaison aux autres catastrophes naturelles. De nouvelles recherches multidisciplinaires, basées sur des approches méthodologiques avancées, permettront de fournir des données plus complètes et précises sur les impacts économiques de la chaleur extrême.
Ces chiffres représentent une manière efficace de convaincre les décideurs. Comme nos gouvernements comprennent généralement très bien le langage économique, il est impératif d’adapter notre discours afin d’influencer les politiques publiques.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.