13 novembre 2023
Nul ne peut prédire avec certitude l’évolution des marchés financiers. Voici pourquoi
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.
Un texte signé par Benoît Béchard, stagiaire postdoctoral à l'École de psychologie de l'Université Laval.
Certains adeptes de l’analyse des marchés boursiers prétendent pouvoir prédire, avec une précision déconcertante, les tendances des marchés financiers.
Ainsi, nonobstant la complexité du monde de la finance internationale, ceux-ci nous assurent que des bénéfices conséquents sont à notre portée si nous adhérons à leurs recommandations et comportements.
Mais est-ce réellement possible de prévoir avec exactitude le comportement du marché des capitaux ?
En tant que docteur en psychologie de la décision, spécialisé dans la recherche sur la complexité, j’ai eu l’occasion d’approfondir ma compréhension de la véritable capacité de l’humain à contrôler les environnements complexes du monde réel. Pour l’heure, ma conclusion est sobre, et tout sauf simple.
La complexité, c’est complexe
Pour de nombreux chercheurs en science de la décision, comprendre et gérer la complexité représente le plus grand défi de l’ère numérique. La complexité se réfère à la nature incertaine des environnements où, quotidiennement, nous prenons des décisions.
Alors que nos choix financiers peuvent paraître simples et évidents (épargner une portion de son revenu, établir un budget, rembourser une dette), l’environnement dans lequel ceux-ci se concrétisent est imprévisible.
Les stratégies que nous adoptons ne sont certes pas infaillibles, notre connaissance ne garantit pas notre succès, et les effets de chacune de nos décisions sont incertains et uniques. C’est ce qui explique que les environnements où nous prenons les décisions de tous les jours sont en réalité éminemment complexes. Ils impliquent de nombreux facteurs liés entre eux, qui évoluent constamment, avec ou sans intervention de notre part. Sans oublier que les objectifs que nous chérissons entrent fréquemment en contradiction les uns avec les autres.
Par exemple, comment peut-on garantir que nos placements soient à l’abri des fluctuations journalières des marchés, tout en maximisant leur rendement ?
L’humain face à la complexité financière
Face à la complexité du monde de la finance, la cognition humaine tend à favoriser un traitement simplificateur et réductionniste de l’information, correspondant à une forme de « surfocalisation » (tunneling). Face à la surcharge engendrée par cette complexité, nous avons tendance à nous concentrer sur un ou quelques aspects spécifiques d’une situation, plutôt que sur l’ensemble de l’information disponible, parce que trop d’information tue l’information. En d’autres termes, nous recourrons à des raccourcis. Et vous savez quoi ? Souvent, ces modes de raisonnement simplistes aboutissent à des décisions biaisées.
Nous commettons une erreur de jugement lorsque nous attribuons les performances médiocres de notre portefeuille d’actions à un seul événement particulièrement marquant dans notre esprit. Nous croyons à tort que nos placements croîtront de manière linéaire, alors qu’ils sont vulnérables aux variations exponentielles causées par des crises et des phénomènes inattendus. Nous réagissons maladroitement aux investissements infructueux en nous focalisant sur les conséquences qui pourraient expliquer nos difficultés financières, au lieu d’approfondir notre compréhension des raisons pour lesquelles l’entreprise (ou le secteur dans lequel elle opère) en qui nous avions une confiance aveugle connaît des difficultés.
Enfin – et la nature humaine est ainsi faite – nous avons tendance à attribuer la responsabilité de nos échecs à des facteurs externes hors de notre contrôle. Par exemple, on pourrait être tenté de blâmer les mauvaises conditions météorologiques estivales pour expliquer les pertes encourues par certaines entreprises du secteur du tourisme. Mais ce faisant, on néglige l’importance de la qualité des produits et services qu’elles offrent, ou encore la convivialité de leur personnel.
Et les adeptes des marchés dans tout ça…
Mes plus récents travaux appuient ce que la littérature sur la prise de décision complexe mentionne ; que nous soyons des adeptes ou des novices, comprendre et maîtriser la complexité est un défi colossal.
Plusieurs adeptes des marchés feront preuve d’une plus grande habileté dans l’élaboration d’une stratégie d’investissement, la gestion de portefeuille, ou encore l’accès à certains placements.
Cependant, une erreur est commise si l’on suppose qu’ils peuvent prévoir le comportement incertain des marchés. L’enjeu ne réside pas nécessairement dans la connaissance financière, mais dans les limitations naturelles de la cognition humaine lorsqu’elle est confrontée à la complexité.
Face à la finance internationale, il existe un « mur » au-delà duquel il est particulièrement difficile de progresser, et nous sommes tous sujets aux biais et aux erreurs.
Alors, comment s’en sortir ?
Malgré les nombreux défis de la complexité financière, il y a de la lumière au bout du tunnel, pourvu que nous sachions comment s’y prendre. Bien que de nombreuses études restent à mener, les chercheurs demeurent optimistes quant à certaines approches qui peuvent d’ores et déjà nous guider vers des décisions plus éclairées.
1. Apprenez à penser en système
La pensée systémique est une manière de percevoir la réalité qui nous aide à mieux comprendre et travailler avec les environnements complexes du monde réel.
Que ce soit pour apprendre à mieux gérer votre budget ou investir judicieusement en bourse, prenez l’habitude de dessiner des représentations visuelles des défis financiers que vous souhaitez relever.
Les diagrammes de cause à effet, qui utilisent des symboles simples (un signe + pour indiquer un changement dans la même direction entre deux facteurs, et un signe – pour indiquer des changements opposés) permettent de figurer rapidement l’étendue et la portée d’un problème en représentant les relations entre les parties d’un même système.
Mais ne vous méprenez pas, certains facteurs sont difficilement prévisibles.
En somme, apprenez à réfléchir aux conséquences des conséquences de vos choix avant de prendre une décision.
2. Soyez audacieux, tolérez l’incertitude
Apprenez à tolérer les situations qui, à première vue, n’ont pas de solutions claires et vous laissent dans le doute.
Les marchés financiers sont imprévisibles et mal structurés (wicked problems).
Dans ces environnements, l’ambiguïté est la norme. Accepter l’incertitude permet de traduire les problèmes en opportunités de décisions transformatrices, plutôt que de prendre des décisions trop hâtives, ou encore s’enfermer dans l’inaction.
Il n’existe pas une seule « bonne solution » à un problème financier complexe. Prenez un moment pour évaluer vos options.
3. Mettez à l’épreuve vos croyances et vos préjugés
N’essayez pas de rechercher et d’interpréter l’information financière en fonction d’une hypothèse de départ qui vous est chère. Confrontez vos idées préconçues à l’aide de sources que vous n’auriez d’ordinaire pas consultées en raison de leur position opposée à vos convictions.
Que dirait un ami ou un collègue que vous appréciez, mais qui est foncièrement en désaccord avec vous ?
4. Ne vous fiez pas à ce qui vous vient facilement à l’esprit
Le simple fait d’assister à une conférence inspirante sur l’économie durable ou d’écouter attentivement un reportage télévisé sur l’éthique financière ne garantit pas que les informations qui en découlent sont utiles à la décision que vous devez prendre.
Bien que ces informations puissent être plus facilement récupérables en mémoire, elles ne sont pas nécessairement pertinentes. Ne surestimez pas la probabilité qu’un événement se produise simplement parce que vous pouvez l’imaginer dans les moindres détails.
Renseignez-vous à plusieurs enseignes et croisez les sources d’information que vous consultez.
Et maintenant ?
Personne ne devient compétent sans pratique. Vous devez personnellement explorer le monde de la finance.
À travers l’expérience, vous développerez vos compétences pour mieux appréhender la complexité. Pour faciliter cette pratique, vous pouvez avantageusement faire appel à un professionnel compétent qui vous accompagnera dans ce processus hautement sophistiqué.
Mais n’oubliez pas ceci : face à la complexité, vous êtes humain, tout comme le sont ceux qui prétendent lire l'avenir.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.