13 mai 2025
Le conflit israélo-palestinien peut-il être enseigné à l’université? Voici notre expérience
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.

Vue sur le campement pro-palestinien installé sur les terrains de l'Université McGill, le 13 mai 2024
— La Presse canadienne/Ryan Remiorz
Un article cosigné par Sivane Hirsch et Francesco Cavatorta, professeurs à la Faculté des sciences sociales
À l’automne 2024, nous avons enseigné à l’Université Laval le conflit israélo-palestinien.
Lorsque le conflit actuel a éclaté à la suite de l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, nous étions, comme tout le monde, en réaction, sans avoir le temps de recul pour préparer nos interventions à ce sujet. Les questions dans nos cours – et au-delà – étaient nombreuses, car les étudiants et les étudiantes cherchaient à mieux comprendre ce conflit pour se faire une idée. Ces derniers sont de diverses origines, milieux sociaux et ont différentes visions du monde.
Nous étions concernés tous les deux tant par nos expertises que notre histoire personnelle. Mon co-auteur, Francesco, est professeur en sciences politiques et s’intéresse aux tensions au Moyen-Orient depuis le début de sa maîtrise en 1996. Il a d’ailleurs régulièrement séjourné à Jérusalem. D’origine israélienne, au Québec depuis plus de 20 ans, je suis professeure en éducation et je m’intéresse à l’enseignement des thèmes sensibles et à la manière de les aborder en classe pour qu’ils contribuent à l’apprentissage et non pas à la polarisation sociale.
C’est ainsi que nous avons décidé de proposer une activité conjointe dans le cadre de deux cours : l’un, en sciences politiques, porte sur les conflits au Moyen-Orient et l’autre, dans le baccalauréat de l’enseignement au secondaire.
Un thème sensible
Le conflit palestino-israélien est sans doute ce qu’on appelle un « thème sensible » qui se caractérise par quatre dimensions :
1 – une dimension éthique qui mobilise des valeurs et des représentations sociales des apprenants et du personnel enseignant ;
2 – une dimension sociale qui reconnait le contexte pluriel dans lequel se fait l’apprentissage ;
3 – une dimension politique qui aborde les rapports des pouvoir dans toute société ;
4 – une dimension pédagogique qui s’explique par la complexité de ces thèmes, invitant à adopter souvent une approche interdisciplinaire.
Le conflit israélo-palestinien mobilise des valeurs et des représentations sociales. Il touche des questions d’autodétermination identitaire et nationaliste, et soulève des idéologies oppressives et racistes – tant antisémites qu’islamophobes – dans la discussion. Il est très complexe et nécessite une compréhension historique, sociopolitique, géographique et juridique pour réellement appréhender les enjeux qu’il soulève.
Adopter une approche antiraciste
Nous avons décidé de proposer une activité inspirée de l’approche d’éducation antiraciste, laquelle insiste sur l’importance de :
1 – reconnaitre le racisme dont font l’objet aussi bien les Palestiniens que les Israéliens comme une construction sociale ;
2 – réexaminer l’histoire du conflit en reconnaissant l’influence de ce racisme ;
3 – faire place aux personnes concernées directement par le conflit ;
4 – choisir la manière d’en parler.
Ainsi, nous avons débuté avec une présentation de l’historique du conflit, puis abordé les manières d’entrer en dialogue plutôt qu’en débat autour du conflit.
C’est alors que nous avons laissé la parole aux personnes concernées, vivant ce conflit dans leur quotidien, en invitant à une rencontre à distance avec la classe deux mères membres de l’organisme israélo-palestinien, Le cercle des parents, qui regroupe des familles endeuillées qui ont perdu un proche dans le conflit.
Après la rencontre, nous avons consacré une heure à débreffer, comme le suggère notre démarche dans le guide pédagogique Comment aborder les thèmes sensibles avec le groupe afin de permettre à tous et à toutes de partager leurs émotions et réflexions, et de préciser leurs idées, au besoin, avec nous.
Une expérience marquante
Cette expérience nous a confirmé que la thématique est aussi complexe qu’on l’imagine : les étudiants et étudiantes posent des questions auxquelles il est difficile de répondre, à la fois parce qu’elles exigent d’avoir le temps suffisant pour le faire, mais aussi parce qu’elles nécessitent fréquemment d’être contextualisées.
Par exemple, un étudiant voulait mieux comprendre les causes des échecs des négociations de paix, lesquels expliquent l’impasse actuelle. Une étudiante contestait la démarche elle-même : comment écouter les deux mères que nous avons rencontrées avec la même ouverture alors que l’on constate leur situation inéquitable ?
Les étudiants et les étudiantes cherchaient en général à comprendre les solutions avancées par nos interlocutrices. Ils trouvaient difficile de constater que les attentes de ces dernières étaient fort modestes et se limitaient à la reconnaissance mutuelle. Ceci était plus que décevant pour notre classe qui avait du mal à concevoir la vie en situation de guerre.
Pourtant, malgré les sensibilités, tous et toutes étaient capables d’adapter leur discours pour échanger dans le respect. Cela montre que cette activité, malgré ses angles morts, permet aux étudiants et aux étudiantes de profiter d’un espace et de moyens pour réfléchir et s’intéresser à une question sensible. Leurs interventions sont loin d’être simples, superficielles ou polarisées.
Forts de cette expérience, nous estimons qu’une classe est un excellent endroit pour parler du conflit ! En fait, on peut même dire que c’est le meilleur endroit pour le faire. En évitant ce sujet, nous obligeons les jeunes à s’informer ailleurs (sur les réseaux sociaux, notamment). Or, notre corps enseignant – à tous les niveaux – est capable de présenter ces thèmes complexes avec beaucoup plus de nuances et en offrant un réel espace de discussion à nos jeunes. En les faisant réfléchir sur un thème sensible comme ce conflit, nous contribuons à former des citoyens et citoyennes capables de s’engager dans un débat politique d’actualité.