17 avril 2025
La nouvelle cartographie des zones inondables pourrait affecter la valeur des propriétés. Voici pourquoi.
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.

— La Presse canadienne/Peter McCabe
Un texte cosigné par Michael Bourdeau-Brien, professeur à la Facultédes sciences de l'administration.
Le gouvernement du Québec a entrepris une révision en profondeur du cadre règlementaire entourant la gestion des zones inondables. Cette révision implique la production de nouvelles cartes de zones inondables, ainsi qu'une nouvelle catégorisation de ces zones selon leur niveau de risque. Par voie de conséquence, elle implique également que certaines propriétés pourraient voir leur valeur être modifiée.
Le 30 septembre dernier, la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) a publié de nouvelles cartes préliminaires et non-officielles des zones inondables montrant que plus de 19 000 logements sont à risque. Cela a créé une onde de choc et a suscité de nombreuses interrogations légitimes entourant l'impact des changements à venir sur la valeur des propriétés.
Experts en assurance, en actuariat, en hydrologie et en gestion des risques d'inondations, nous expliquons dans cet article pourquoi le risque d'inondation affecte les valeurs foncières. Nous proposons quelques solutions pour les propriétaires, municipalités et gouvernements.
Dans un récent article, nous avons abordé les conséquences de la nouvelle cartographie des zones inondables sur l'assurabilité et l'accès à des prêts hypothécaires.
Risque d'inondations et valeur des propriétés
Un ensemble de facteurs détermine la valeur d'une propriété. Ces facteurs incluent les caractéristiques physiques (p.ex. aire habitable), diverses variables économiques (p.ex. taux d'intérêt), ainsi que les effets de l'emplacement d'un bâtiment (p.ex. tranquillité du voisinage). Le risque d'inondation fait partie de ces facteurs.
Plusieurs études estiment la perte de valeur liée au risque d'inondation. Les résultats d'une méta-analyse publiée en 2018 font état d'une différence moyenne des prix qui varie de moins de 1 % à plus de 12 % selon les échantillons et les régions du monde. Puisqu'il s'agit d'une différence moyenne, il importe de souligner que plusieurs propriétés subissent une diminution de valeur supérieure à cette moyenne. Il est ainsi essentiel de comprendre pourquoi et où de telles conséquences sont anticipées.
L'impact de la nouvelle cartographie proposée sera déterminé par trois principaux facteurs interreliés, soient : 1) la connaissance du risque ; 2) les contraintes en matière de construction ou réparation ; et 3) l'accès aux fonds nécessaires pour rebâtir ou pour rembourser un prêt hypothécaire.
Facteur # 1 : Changements dans la connaissance du risque d'inondation
Les cartes de zones inondables fournissent de l'information concernant la présence et l'importance du risque d'inondation. L'arrivée de nouvelles cartes modifie la connaissance que l'on possède du risque, mais n'affecte pas le risque en soi.
La littérature scientifique indique que ce sont ces modifications dans la connaissance du risque par les acteurs du marché immobilier (p.ex. : acheteurs, vendeurs, courtiers, banquiers, assureurs) qui entraînent des effets sur les valeurs foncières. Dit autrement, l'impact du risque d'inondation n'est pas pris en compte dans les prix lorsque les acteurs ignorent qu'une propriété est à risque. À l'opposé, l'arrivée d'une nouvelle cartographie aurait un impact infime si ces mêmes acteurs étaient déjà en mesure de bien identifier et d'évaluer le risque.
Aussi, une cartographie des zones inondables ne fournit pas une mesure parfaite du risque d'inondation. Les nouvelles cartes désigneront les zones à risque sur la base d'une modélisation de la fréquence et de l'importance des submersions probables. Or ces cartes ne contiendront pas d'information sur la vulnérabilité des propriétés.
On peut donc s'attendre à ce que deux propriétés situées dans une même catégorie de risque subissent des chocs de valeur différents si l'une des propriétés est susceptible de subir des dommages plus importants que l'autre en cas de submersion. Dans le même esprit, les propriétaires capables de «prouver» aux acteurs du marché que leur propriété est en mesure de résister à une inondation avec des dommages minimaux essuieront une perte de valeur moins prononcée que les autres.
Facteur # 2 : Contraintes dans les possibilités de réparer ou reconstruire
Un deuxième facteur par lequel le risque d'inondation peut affecter les prix des propriétés vient de restrictions réglementaires dans les usages permis en zones inondables. Ces restrictions pourraient empêcher ou décourager les promoteurs de développer ou de redévelopper un quartier à risque. Elles pourraient également limiter les propriétaires dans les rénovations et transformations pouvant être apportées à un bâtiment.
Le cadre réglementaire révisé imposera des normes plus strictes que celles actuelles. Même avec des droits acquis, les propriétaires devront respecter de nouvelles restrictions et feront face à des limitations pour la reconstruction ou la réparation.
De façon un peu surprenante, la littérature scientifique n'offre pas de consensus sur l'effet de telles contraintes sur les valeurs immobilières. Quelques études suggèrent même que des restrictions réduisant l'offre de propriétés dans un quartier, ou améliorant la résilience à divers risques, peuvent mener à une croissance des prix.
Facteur # 3 : Accès aux fonds nécessaires pour rembourser un prêt hypothécaire
Lorsqu'un sinistre endommage fortement une propriété hypothéquée, les propriétaires font face à un important fardeau financier puisqu'ils doivent simultanément (a) se reloger, (b) nettoyer, réparer ou reconstruire, et (c) poursuivre le remboursement de leur prêt hypothécaire. La probabilité que le prêt ne soit pas remboursé augmente tandis que la valeur de la garantie hypothécaire s'évapore.
Afin de se prémunir de ce risque, les institutions financières exigent que les emprunteurs contractent une assurance habitation. Toutefois, la couverture d'assurance inondation disponible au Québec n'offre souvent qu'une indemnisation partielle, ou n'est simplement pas disponible dans les zones à haut risque. Les sinistrés doivent alors se tourner vers le Programme général d'aide financière (PGAF) du gouvernement québécois.
Or, l'aide venant de ce programme est généralement inférieure à la valeur réelle des dommages et ne couvre que les sinistres non assurables. De plus, une limite à vie restreignant l'aide offerte en cas d'inondations répétées a été instaurée en 2019. Sans assurance ou autre aide financière, les institutions financières pourraient également décider d'offrir des conditions d'emprunts moins avantageuses, voire de refuser de consentir des prêts si la mise de fonds est insuffisante.
Bien que l'impact exact de la nouvelle cartographie des zones inondables sur les pratiques des prêteurs et assureurs reste incertain, il est probable que la révision du cadre réglementaire réduise l'accès au financement hypothécaire. L'impossibilité de s'assurer contre les inondations limitera le nombre d'acheteurs potentiels, tandis que des conditions d'emprunt moins favorables augmenteront le coût des emprunts des propriétés à risque.
Ces deux éléments créent une pression à la baisse sur les prix des propriétés. L'accès au financement hypothécaire nous apparaît être le facteur le plus urgent à adresser pour minimiser l'impact de la nouvelle cartographie sur les ménages.
Trois pistes de solutions pour réduire les impacts de la nouvelle cartographie
La nouvelle cartographie des zones inondables au Québec soulève des défis importants pour les propriétaires de résidences. Nous proposons trois pistes de solutions pour en minimiser les conséquences économiques.
1) Promouvoir la connaissance du risque : Connaître le niveau de risque auquel on fait face est un élément essentiel pour prendre des décisions éclairées. Les acteurs du marché immobilier ont tout intérêt à documenter et publiciser les caractéristiques des terrains et bâtiments qui affectent la vulnérabilité aux inondations.
2) Émettre des certificats de résilience : À l'instar de ce qui se fait aux États-Unis, les municipalités et les experts pourraient contribuer à la mise en place de «certificats de résilience» pour encourager les propriétaires à prendre des mesures de protection contre les inondations et ainsi atténuer les impacts du nouveau cadre réglementaire. La participation active des assureurs dans l'élaboration et la reconnaissance des certificats constituerait certainement un gage de succès.
3) Élargir l'offre de protection financière : Le gouvernement fédéral a annoncé son intention de mettre sur pied un programme canadien d'assurance inondation. Un tel programme est susceptible de rassurer bon nombre d'institutions financières par rapport au risque qu'elles supportent en prêtant dans les zones à haut risque, tout en offrant une aide financière suffisante au rétablissement des ménages sinistrés.
En conclusion, le meilleur moyen de préserver la valeur d'un bâtiment consiste à le rendre le moins vulnérable possible. Dans le contexte actuel, où les gouvernements poursuivent la révision du cadre réglementaire, il est important de rappeler qu'ils ont également la responsabilité d'accompagner les propriétaires affectés, et de proposer des mesures visant à atténuer les conséquences de cette révision.
Mathieu Boudreault, Professeur en actuariat, Université du Québec à Montréal (UQAM); Bernard Deschamps, PhD Student in Environmental Sciences, Université du Québec à Montréal (UQAM); Michael Bourdeau-Brien, professeur de finance, assurance et immobilier, Université Laval et Michel Leclerc, Professeur associé honoraire Hydraulique fluviale, ing., D.ing., Institut national de la recherche scientifique (INRS)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.