22 janvier 2025
Les États-Unis en repli, la Chine en retrait, le monde dans un vide dangereux
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.

Donald Trump et Xi Jinping lors du sommet du G20 à Osaka en 2019.
— AP Photo/Susan Walsh
Un texte signé par le professeur Érick Duchesne à la Faculté des sciences sociales.
Les États-Unis, longtemps la puissance hégémonique incontestée, se trouvent aujourd’hui à un tournant critique.
Un déclin progressif, amorcé depuis plusieurs décennies, a connu une accélération sous la présidence de Donald Trump. Sa doctrine « America First », caractérisée par un unilatéralisme agressif, a non seulement affaibli les alliances historiques des États-Unis, mais a également sapé les institutions multilatérales, provoquant des fractures dans l’ordre mondial.
Bien que l’administration Biden ait tenté de rétablir certaines alliances, ses efforts n’ont pas suffi à enrayer cette dynamique.
La deuxième présidence Trump semble creuser ces tendances vers un repli sur soi. Le jour même de son assermentation, Trump a annoncé le retrait de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et de l’Accord de Paris.
Cette stratégie augmente les risques liés à deux concepts clés en science politique : le piège de Thucydide et le piège de Kindleberger.
Ces deux pièges, que j’exposerai ci-bas, forment un cocktail explosif pour l’instabilité géopolitique et économique mondiale.
À titre de professeur de relations internationales, je m’intéresse depuis de nombreuses années aux tensions sino-américaines, sujet [au cœur de ces bouleversements.
Concurrence féroce et vide de leadership
Mes travaux explorent les transformations du leadership mondial à travers le prisme des relations entre ces deux grandes puissances. Ces tensions sont particulièrement pertinentes pour comprendre les dynamiques actuelles, marquées par une compétition féroce et un vide de leadership grandissant.
Le piège de Thucydide décrit le risque de conflit entre une puissance dominante et une puissance montante. Historiquement, cette dynamique a conduit à la guerre du Péloponnèse entre Sparte et Athènes (431-404 avant J.-C.).
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Aujourd’hui, cette tension se manifeste dans la rivalité croissante entre les États-Unis et la Chine. Sous Trump, la guerre commerciale avec Pékin a exacerbé les frictions économiques sans atteindre les objectifs escomptés.
La nouvelle administration Trump, avec son approche protectionniste et belliqueuse, risque d’alimenter ce piège. Les politiques annoncées, comme des tarifs douaniers de 25 % sur les produits nord-américains, ou encore les menaces d’utiliser la force pour prendre le contrôle du Groenland et du canal de Panama, ne feraient qu’accroître les tensions internationales.
Parallèlement, le piège de Kindleberger, introduit en 1973 dans The World in Depression, illustre les dangers d’un vide de leadership mondial.
Selon Kindleberger, dans les années 1930, l’incapacité des États-Unis à assumer un rôle de stabilisateur global a contribué à la Grande Dépression et à la montée des forces fascistes, qui ont conduit à la Seconde Guerre mondiale.
Fragmentation des relations internationales
Aujourd’hui, ce vide de leadership est encore plus préoccupant dans un contexte de fragmentation des relations internationales. La montée en puissance de la Chine ne s’accompagne pas d’une volonté claire d’assumer un rôle hégémonique.
Pékin reste focalisé sur des priorités internes, comme la gestion de son économie en ralentissement et le maintien de la stabilité politique. Pendant ce temps, les États-Unis, affaiblis par des divisions internes et une diplomatie incohérente sous Trump, se désengagent des institutions multilatérales, aggravant l’instabilité mondiale.
La montée de la polarisation politique aux États-Unis a également paralysé leur capacité à adopter une politique étrangère cohérente et à long terme. Les divisions internes ont affaibli la volonté politique des États-Unis de continuer à exercer leur rôle de leader mondial, tandis que la diplomatie incohérente de l’administration Trump a créé de l’incertitude parmi les alliés.
Cette incapacité à fédérer les nations autour d’un agenda commun a entamé la crédibilité des États-Unis sur la scène internationale.
Bien que les États-Unis restent la première économie mondiale, leur domination est contestée par l’ascension rapide de la Chine. Le retrait des États-Unis du Partenariat transpacifique a laissé un vide que la Chine a cherché à combler, notamment à travers le Partenariat économique régional global.
Un modèle démocratique qui s’érode
En outre, l’un des piliers du rôle hégémonique américain a longtemps été leur capacité à incarner et à défendre des valeurs démocratiques. Cependant, sous Trump, cette légitimité morale a été érodée. Son admiration pour des leaders autoritaires comme Vladimir Poutine ou Kim Jong‑un, combinée à des tensions internes liées à des crises de justice raciale, une gestion controversée de la pandémie de Covid-19 et des accusations de fraude électorale infondées, a entamé l’image des États-Unis comme modèle de gouvernance démocratique.
Le monde G-Zéro, tel que décrit par le politologue Ian Bremmer, est une période dans lequel aucun pays ou groupe de pays n’exerce une domination claire sur la gouvernance mondiale ou sur les grands enjeux globaux. Les institutions internationales comme l’ONU, l’OMC et même l’OTAN sont affaiblies par le retrait des grandes puissances, rendant la coopération sur des questions critiques comme le climat, les pandémies ou les migrations massives de plus en plus difficile.
Sous une deuxième administration Trump, le désengagement américain pourrait s’intensifier, créant un vide dangereux dans lequel des acteurs régionaux ou des puissances révisionnistes pourraient exploiter l’instabilité à leur avantage.
Nouvelle récession mondiale ?
Les répercussions économiques d’un tel vide sont également préoccupantes. Les tarifs douaniers imposés par Trump lors de son premier mandat, qui rappellent le protectionnisme du tarif Smoot-Hawley des années 1930, ont déjà isolé les États-Unis et provoqué des représailles de la part de leurs partenaires commerciaux. Des politiques similaires dans un second mandat, combinées à une rhétorique belliqueuse, pourraient non seulement creuser les fractures économiques mondiales, mais aussi précipiter une nouvelle récession.
Pourtant, ces pièges ne sont pas inévitables. L’idée du déclin américain a été évoquée dès les années 1970, mais les États-Unis ont démontré une résilience remarquable grâce à des alliances stratégiques et des accords multilatéraux.
Le piège de Thucydide a également été évité par le passé, notamment avec l’effondrement de l’Union soviétique, où la transition de la bipolarité à l’hégémonie américaine s’est déroulée sans conflit majeur. De même, les crises globales peuvent être surmontées grâce à une coordination internationale. Les réponses collectives à la crise financière de 2008 en sont un exemple probant.
Le déclin relatif des États-Unis et la montée en puissance de la Chine créent ainsi un environnement mondial incertain, amplifié par les risques associés aux pièges de Thucydide et de Kindleberger.
La deuxième administration Trump pourrait aggraver ces dynamiques, exacerbant les tensions géopolitiques, économiques et climatiques. Toutefois, l’histoire montre qu’il existe des solutions pour surmonter ces défis. En tirant les leçons du passé, la communauté internationale peut encore éviter les pièges qui se dressent devant elle et œuvrer pour un ordre mondial plus stable et coopératif.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
