10 avril 2025
Votre hypothèque - et possiblement votre assurance - pourraient être affectées par la nouvelle cartographie des zones inondables. Voyez comment
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.

Les propriétaires de l'arrondissement de L'ile-Bizard-Sainte-Geneviève à Montréal ont préparé leurs propriétés en vue d'une alerte de fortes précipitations le dimanche 30 avril 2023.
— La Presse canadienne - Peter McCabe
Un texte cosigné par Michaël Bourdeau-Brien, professeur à la Faculté des sciences de l'administration.
Depuis les inondations printanières de 2017 et 2019, le gouvernement du Québec a entrepris une vaste mise à jour de la cartographie des zones inondables par débordement de cours d’eau (inondation fluviale). Si cette nouvelle cartographie permettra à terme au gouvernement de mieux encadrer l’aménagement de ces territoires, elle pourrait également avoir des conséquences sur l’assurabilité de plusieurs demeures, ainsi que sur l’accès à des prêts hypothécaires.
C’est le ministère de l’Environnement (MELCCFP) qui est responsable de ce chantier, en collaboration avec les communautés métropolitaines de Montréal (CMM) et de Québec (CMQ), ainsi qu’avec les municipalités régionales de comté (MRC).
Alors que la CMM a rendu publique une cartographie préliminaire non-officielle des zones inondables sur son territoire, les résidents se questionnent sur les impacts de l’élargissement des zones inondables existantes. Les principales préoccupations exprimées par les résidents concernent l’accès à l’assurance inondation et au crédit sous forme de prêts hypothécaires, ainsi que la dévalorisation potentielle de leur propriété.
Experts en assurance, en actuariat, en hydrologie et en gestion des risques d’inondations, nous apportons dans cet article quelques réponses à ces préoccupations, notamment au sujet de l’assurance et des hypothèques.
Le coût des inondations au Québec : une responsabilité partagée
Le coût des dommages matériels lié aux inondations fluviales est supporté à la fois par les assureurs privés, les gouvernements et les sinistrés.
Les assureurs offrent une protection contre certains dommages par l’eau. Par exemple, les infiltrations d’eau par le toit, le sol, le sous-sol ou par le réseau d’égouts sont généralement des risques assurables. Cependant, les dommages causés par ces risques ne sont pas couverts par le contrat d’assurance habitation de base. Lorsque disponible, l’assuré doit acheter cette protection supplémentaire (aussi appelée avenant) et payer la surprime exigée par l’assureur. Il en va de même pour l’assurance inondation.
Pour ces protections optionnelles, la limite de couverture, c’est-à-dire le montant maximum qu’un assureur s’engage à verser en cas de sinistre, est généralement inférieure à 60 000 $. La protection contre les inondations causées par les débordements de cours d’eau a été introduite au Canada en 2015 par les assureurs suite aux inondations de 2013 à Calgary. Malgré les inquiétudes soulevées par la nouvelle cartographie, la disponibilité de l’assurance inondation est très limitée dans les zones inondables.
C’est le Programme général d’aide financière (PGAF) du ministère de la Sécurité publique (MSP) qui procure la majeure partie de la protection financière aux propriétaires et locataires de résidences principales lors d’inondations fluviales. Cependant, le PGAF offre une protection financière restreinte et de dernier recours en remboursant le coût des biens et des réparations dites essentielles et admissibles.
Depuis sa réforme en 2019, le PGAF limite également l’aide financière pour les inondations répétées d’un même bâtiment en introduisant une limite à vie sur les inondations successives. Comme l’a montré le passage de l’ouragan Debby le 9 août dernier, les dommages découlant d’une inondation causée par un refoulement d’égout ou par une infiltration d’eau sans débordement d’un cours d’eau à proximité ne sont pas admissibles au PGAF, puisqu’il s’agit d’un risque assurable par avenant.
En l’absence d’assurance ou d’aide du gouvernement du Québec, les sinistrés assument eux-mêmes les conséquences économiques des inondations, qu’elles soient fluviales ou pluviales. Les sinistrés assument également les dommages supérieurs aux limites de couverture de leur assurance et aux maximums admissibles sous le PGAF.
Les impacts sur l’accès à l’assurance
Contrairement à l’assurance automobile où les protections sont standardisées, les assureurs peuvent déterminer la nature et l’étendue des protections en matière d’assurance habitation. Cela est également vrai pour la protection contre les inondations.
Les assureurs déterminent d’abord si celle-ci est offerte, puis fixent les franchises et les limites. Ils calculent enfin la surprime. Afin de réaliser ces tâches, les assureurs utilisent plusieurs outils et données provenant de sources d’informations variées.
Pour les débordements de cours d’eau, l’historique de réclamations est d’au plus quelques années et, par conséquent, une cartographie réglementaire à jour des zones inondables devient une source d’information très crédible pour déterminer le risque et donc l’assurabilité.
Le gouvernement doit s’impliquer
Quand et comment la nouvelle cartographie réglementaire des zones inondables viendra modifier l’offre d’assurance demeure toutefois incertain. Il importe de noter que la cartographie rendue publique est pour le moment préliminaire et limitée au territoire de la CMM.
Il est donc envisageable que l’offre d’assurance devienne encore plus limitée et/ou que le niveau de couverture diminue et/ou que les primes augmentent, surtout pour les résidents où la nouvelle cartographie modifie considérablement l’évaluation du risque réalisée par les assureurs.
Nous estimons à cet égard qu’il y a une occasion pour le gouvernement du Québec de bonifier le PGAF et de l’assortir d’incitatifs additionnels à la mise en œuvre de mesures de résilience.
Le gouvernement fédéral réfléchit également à un Programme canadien d’assurance inondation (PCAI). Annoncé initialement dans le budget fédéral de 2023 et réitéré en 2024, le PCAI vise à offrir une protection financière abordable à tous les canadiens situés dans les zones inondables.
Entre-temps, il demeure essentiel de magasiner son assurance habitation, car la prise en compte de la nouvelle cartographie réglementaire pourrait varier d’un assureur à l’autre.
Les impacts sur l’accès à des prêts hypothécaires
Lorsque les institutions financières émettent un prêt hypothécaire, la propriété sert alors de garantie en cas d’insolvabilité de l’emprunteur. Puisque les dommages causés par une inondation peuvent s’élever à plusieurs dizaines de milliers de dollars, une inondation peut affecter la capacité de payer de l’emprunteur et réduire la valeur de la garantie hypothécaire. Pour réduire ces deux risques, les institutions financières exigent que la propriété soit adéquatement protégée contre les inondations.
Nous savons que plusieurs résidents situés en zones inondables ne seront plus qualifiés pour le PGAF (en raison de la limite à vie sur les inondations successives), ni assurables contre les inondations. L’exemple récent des inondations à Baie-Saint-Paul confirme qu’il est plus difficile d’obtenir ou de renouveler un prêt hypothécaire dans les zones inondables.
En l’absence d’assurance ou d’aide financière publique, les institutions financières exigeront sans doute des garanties plus solides et une mise de fonds plus importante. Cette situation risque de restreindre l’accès au financement hypothécaire pour les propriétaires en zone inondable.
D’ici à ce que le gouvernement fédéral mette en place le PCAI, une solution au problème d’accessibilité aux prêts hypothécaires consisterait, pour des organismes publics, à étendre les garanties de prêts afin de couvrir les résidents en zones inondables, garantissant ainsi aux prêteurs hypothécaires un niveau d’assurance suffisant pour faciliter l’octroi de prêts.
Quelques initiatives possibles
La mise à jour actuelle de la cartographie des zones inondables par le gouvernement du Québec pourrait donc créer une pression additionnelle sur l’assurabilité de plusieurs résidences et affecter la capacité d’emprunt des propriétaires. Nous avons discuté de deux solutions qui pourraient réduire cette pression sur les propriétaires, d’abord le PCAI, et ensuite la possibilité d’étendre les garanties de prêts.
Toutefois, aucune de ces solutions ne sera viable à long terme si elles ne sont pas également accompagnées de mesures pour réduire la vulnérabilité des propriétés en zone inondable. Les gouvernements, les municipalités et les ménages devraient prioriser la diminution du risque en reconstruisant mieux après une inondation (build back better) et en adaptant le cadre bâti aux changements climatiques.
Afin d’atténuer les impacts du futur cadre réglementaire, nous soutenons également la création de certificats de résilience qui permettraient d’évaluer et d’authentifier le niveau de vulnérabilité d’une propriété face aux dommages causés par l’eau. Ces certificats pourraient être utilisés par les assureurs pour déterminer la prime, ou par le gouvernement afin de déterminer l’éligibilité à l’aide financière, créant ainsi les incitatifs financiers nécessaires pour réduire le risque d’inondation.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
