13 août 2025
Alzheimer: la réalité virtuelle, dernière bouée pour les proches aidants?
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.

Le Québec pourrait innover ses services en proche aidance et utiliser la réalité virtuelle pour soutenir une population vulnérable, suggère l'autrice.
— Shutterstock
Un texte signé par Sivime El Tayeb El Rafei, étudiante au doctorat à la Faculté des sciences de l'éducation.
Dans l’ombre des soins, des milliers de personnes proches aidantes (PPA) vivent fatigue, isolement et détresse, souvent ignorées par le système de santé. Pourtant, une solution prometteuse émerge : une formation humaine et novatrice, rendue possible grâce à la réalité virtuelle.
Derrière chaque statistique, il y a des histoires poignantes : un octogénaire seul avec sa conjointe atteinte d’Alzheimer, une jeune mère aidant à la fois son mari malade et son enfant handicapé, ou ce vieil homme de 81 ans qui a mis fin à la souffrance de sa conjointe par désespoir.
En 2050, près de 211 600 personnes au Québec endosseraient ce rôle, prodiguant plus de cinq millions d’heures de soins par semaine. En 2021, le Québec adoptait une politique nationale, à la suite de la loi 56 ou LPPA qui reconnaît les personnes proches aidantes comme des acteurs essentiels du soin.
Pourtant, sur le terrain, l’offre de formation reste limitée : horaires rigides, contenus trop théoriques, peu adaptés aux réalités rurales ou multiculturelles. Résultat : ces partenaires de soins peinent à endosser la responsabilité de prestation de soins. Elles ont souvent besoin d’information et de formation pour comprendre la maladie d’Alzheimer.
Titulaire d’un doctorat en technologie éducative à l’Université Laval, j’ai cumulé plus de 20 ans d’expérience en enseignement et en conseil pédagogique au Liban et au Québec. J’ai notamment accompagné des enseignants dans l’intégration des technologies numériques et la conception de formations présentielles et distantielles.
La réalité virtuelle à la rescousse
Et si on pouvait apprendre à être proche aidant autrement ? C’est déjà le cas dans plusieurs pays. En France, la Maison des Aidants en Normandie et l’entreprise SocialDream utilisent des casques de RV pour simuler des situations du quotidien : refus de soins, agitation, confusion. Aux États-Unis, Embodied Labs offre des formations en RV aux PPA et au personnel de la santé pour mieux comprendre la maladie d’Alzheimer. D’ailleurs, le Department of Veterans Affairs rapporte une augmentation de 34 % de la confiance des aidants après des formations en RV.
En Australie, le programme D-Esc est conçu pour former les travailleurs sociaux à gérer les comportements des personnes vivant avec la maladie d’Alzheimer. Au Canada, VRx@Home permet à des aidants d’utiliser la RV à domicile pour soulager leurs proches atteints d’Alzheimer.
Pourquoi miser sur la réalité virtuelle ?
Utilisée de plus en plus en santé mentale, la réalité virtuelle fait ses preuves dans les traitements psychothérapeutiques des personnes âgées en institution qui souffrent de problèmes psychiques liés à la perte de mémoire et à la douleur somatique.
Mais son potentiel ne s’arrête pas la. Grâce à l’automatisation des thérapies immersives, ce service deviendrait plus accessible et abordable et réduirait la demande de thérapeutes qualifiés.
À la croisée de l’immersion, de l’interaction et de l’imagination, la réalité virtuelle s’impose aujourd’hui comme un outil pédagogique polyvalent. Qualifiée d’« accélérateur » ou d’« amplificateur de formation », elle est capable de rendre les apprentissages plus concrets et engageants.
Prenons par exemple une femme de 50 ans qui travaille à temps plein et s’occupe de sa mère atteinte d’Alzheimer. Elle a peu de temps pour suivre des formations en personne. Grâce à un programme de formation en RV, elle peut, depuis chez elle, vivre des scènes réalistes, comme une crise d’agitation en pleine nuit, et apprendre comment réagir avec calme et efficacité. En quelques sessions, elle se sent mieux outillée, moins seule, et surtout, comprise.
Plus qu’un outil technologique
La force de la réalité virtuelle, c’est son pouvoir d’immersion. Elle ne se contente pas de montrer : elle fait ressentir. L’aidant ne regarde pas passivement une vidéo, il devient acteur. Il voit le monde à travers les yeux d’une personne malade, ressent ses frustrations, ses angoisses. Cette immersion change la perspective et, souvent, les comportements.
Des études montrent que la RV peut aussi réduire l’isolement des aidants et améliorer leur bien-être psychologique. C’est une façon concrète d’allier formation, soutien émotionnel et accessibilité. La RV peut aussi être une valeur ajoutée aux services classiques de la télésanté et un complément aux formations traditionnelles.
Un virage possible pour le Québec
Le Québec dispose déjà d’expertises locales, comme le programme MEMO, conçu en collaboration avec le Conseil national de recherches du Canada (CNRC), qui utilise déjà la RV pour stimuler les capacités cognitives des personnes vivant avec des troubles neurocognitifs. Il est temps de faire un pas de plus, en s’adressant à celles et ceux qui les soutiennent chaque jour.
Imaginez : une femme en région éloignée pourrait suivre une formation de qualité sans devoir se déplacer. Un homme peu à l’aise avec les formations en ligne classiques pourrait, avec un casque, expérimenter une situation et apprendre « sur le terrain », de façon interactive et engageante.
Pour que cela devienne réalité, il faut investir dans des projets pilotes, co-construits en collaboration avec les milieux communautaires, les universités, les PME innovantes et, surtout, avec les personnes concernées : les PPA elles-mêmes. Il faut créer des formations adaptées et flexibles, en français, et ancrées dans les réalités culturelles du Québec.
En janvier dernier, le gouvernement du Québec a lancé une nouvelle politique sur la maladie d’Alzheimer, qui évoque déjà l’importance de l’innovation.
Oser le changement
Les initiatives internationales démontrent qu’il est possible – et souhaitable – d’utiliser la réalité virtuelle pour soutenir les personnes proches aidantes. Sans ignorer les aspects éthiques de leur usage, ces outils sont des solutions concrètes, accessibles, humaines. Il est temps que le Québec franchisse ce cap.
Soutenir les PPA, c’est défendre des valeurs fondamentales : équité, dignité, inclusion. À l’heure où l’on parle d’innovation et de transformation sociale, il faut mettre la technologie au service de l’humain. La RV peut être une lumière d’espoir pour celles et ceux qui, comme le disait l’infirmière et autrice suisse Rosette Poletti, apprennent à danser sous la pluie, plutôt que d’attendre la fin de l’orage.
Le Québec ne manque ni de compétences, ni de ressources. Ce qu’il nous faut maintenant, c’est une véritable volonté politique, un brin d’audace, et surtout, beaucoup d’écoute.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
