30 janvier 2025
Tarifs douaniers : les effets cascade d’une décision politique sur l’économie, les entreprises et les citoyens
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.

Le premier ministre de l'Ontario Doug Ford serre la main d'un ouvrier à l'aciérie de Stelco à Hamilton en Ontario, le 18 mai 2022.
— CP/Peter Power
Un texte signé par Benoît Béchard, chercheur associé au Laboratoire de recherche Co-DOT de l'Université Laval.
À moins d’un revirement, le président américain Donald Trump imposera dès samedi, 1er février, des tarifs douaniers de 25 % aux produits en provenance du Canada et du Mexique.
Dans un contexte économique où les relations commerciales entre les États sont interdépendantes et fortement intégrées, l’adoption de cette mesure extraordinaire risque de déclencher une série complexe d’effets cascade, affectant les gouvernements, les entreprises, et les citoyens.
En tant que docteur en psychologie de la décision, je m’efforce de comprendre pourquoi nous éprouvons tant de difficulté à gérer les grands défis complexes de notre époque, que ce soit les changements climatiques (y compris les aléas naturels et anthropiques qui en découlent), les pandémies et les crises sanitaires, les inégalités sociales, ou encore les crises économiques et l’évolution imprévisible des marchés financiers.
Mon objectif est de découvrir des pistes de solutions pour aider les décideurs — notamment, les élus politiques — à prendre des décisions qui amélioreront la situation, plutôt que de l’aggraver ou de créer de nouveaux problèmes.
La politique est un bon exemple d’environnement complexe, marqué par de nombreux facteurs qui interagissent entre eux. Des événements imprévus et des trajectoires difficiles à anticiper accentuent encore davantage cette complexité, d’autant plus que les objectifs à atteindre peuvent parfois entrer en conflit.
D’autre part, l’accès à l’information pertinente pour la prise de décision est souvent restreint, et la qualité des contenus varie considérablement, en raison de phénomènes tels que la désinformation, délibérément biaisée, et la mésinformation, qui résulte d’erreurs involontaires, deux phénomènes dont l’ampleur n’a cessé de croître dans les dernières années.
Aux limites de la cognition
Face à la complexité du monde réel, l’être humain — qu’il soit politicien ou citoyen ordinaire — est limité, et les solutions qu’il propose sont souvent influencées par des intuitions erronées. Par exemple, des biais comme la propension à filtrer les informations et à retenir uniquement celles qui correspondent aux idées préconçues, ou la tendance à généraliser les expériences vécues aux événements futurs et à juger d’un problème en fonction d’une valeur de référence, sont fréquents en politique.
Rappelez-vous de la subvention de sept millions de dollars accordée par le gouvernement du Québec l’année dernière pour financer deux matchs préparatoires des Kings de Los Angeles. Malgré un flot de critiques, le gouvernement défendait cette dépense en soulignant qu’elle s’inscrivait dans l’ordre de grandeur habituel des budgets alloués à ce genre d’événements sportifs. « C’est ce que nous avons toujours fait. Pourquoi serait-il déraisonnable de prévoir un budget similaire cette année ? »
De telles erreurs conduisent à se concentrer excessivement sur les symptômes immédiats plutôt que sur les causes, tout en favorisant la mise en œuvre de solutions superficielles. Ce type de comportements vise essentiellement à réduire la complexité à un niveau intelligible. En effet, les recherches soulignent qu’au-delà de quatre ou cinq variables mises en relation, la cognition humaine a énormément de difficulté à prévoir comment une situation évoluera.
Il n’existe pas de réponse toute faite face à la complexité. Toutefois, certaines pistes émergent, dont une qui retient l’attention des chercheurs depuis un certain nombre d’années : la pensée complexe.
Bien que la communauté scientifique poursuive ses évaluations empiriques quant à la possibilité de concevoir la pensée complexe comme une véritable compétence cognitive et de la développer de manière durable — par exemple, via l’entraînement (un peu comme on s’entraîne à la salle de sport, mais dans un laboratoire) — celle-ci pourrait potentiellement permettre de mieux gérer des problèmes sociopolitiques complexes.
La complexité d’un tarif douanier de 25 %
La pensée complexe consiste essentiellement à envisager les problèmes de manière holistique en réfléchissant aux conséquences des conséquences. Dans le cas présent, il s’agit d’anticiper les effets cascade qu’un tarif douanier de 25 % sur les produits canadiens exportés vers les États-Unis pourrait avoir sur l’économie canadienne.
Les économistes le diront : la conséquence directe de ces tarifs sera une chute immédiate des ventes et des revenus des entreprises canadiennes, d’abord celles qui dépendent des exportations vers les États-Unis.
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Les entreprises tenteront audacieusement de s’implanter sur de nouveaux marchés, mais cela entraînera des coûts supplémentaires en développement et en logistique, du moins à court terme.
Certaines d’entre elles pourraient alors procéder à des mises à pied et la réduction des équipes de travail, ce qui augmentera le chômage et les demandes d’indemnisation, parce que la requalification des travailleurs prend du temps.
Cela imposera une certaine pression sur les finances publiques.
Pour d’autres, il sera question d’ajuster la production à la baisse, ce qui affectera les fournisseurs. La réduction des carnets de commandes — qu’il s’agisse de matières premières, de composants ou de services — amplifiera l’impact du tarif sur l’ensemble des parties prenantes de la chaîne d’approvisionnement.
À leur tour, ces entreprises pourraient être contraintes de réduire leurs effectifs, ce qui entraînera une nouvelle hausse du chômage.
Cela imposera davantage de pression sur les finances publiques.
Dès que le gouvernement aura atteint son seuil de tolérance aux critiques (le moment où les coûts politiques deviennent trop élevés sur le plan électoral), il pourra choisir d’intervenir en soutenant certains secteurs en difficulté, par exemple par des subventions ou des prêts destinés à maintenir temporairement la compétitivité et préserver les emplois dans des secteurs jugés stratégiques.
Cela imposera une pression considérable sur les finances publiques.
Pression accrue sur les finances publiques
Dans tous les cas, une hausse des tarifs douaniers de 25 % nuira aux relations commerciales, ce qui entraînera une escalade des tensions et l’instauration d’un nouveau cycle de barrières, autant tarifaires que non tarifaires. Une forme de guerre commerciale, si vous préférez.
Vous avez deviné : cela imposera une pression accrue sur les finances publiques.
Bien que réducteur face à la complexité du monde réel, ce bref exercice de réflexion reste utile, car il permet de pratiquer l’anticipation : que se passera-t-il si le gouvernement est contraint d’augmenter ses dépenses ? En pratiquant votre pensée complexe, vous devinerez une hausse prochaine des taxes et des impôts.
Peut-être que le nouveau président américain aurait décidé autrement s’il avait réfléchi aux conséquences des conséquences de ses choix. En considérant le potentiel des pressions inflationnistes qui guettent l’économie américaine si le gouvernement va de l’avant le 1er février, toute personne raisonnable hésiterait à imposer des tarifs de 25 %.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
