23 mai 2024
Il faut éviter que la lutte contre la crise climatique ne creuse davantage les inégalités
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.
Un texte cosigné par Geneviève Cloutier, professeure à la Faculté d’aménagement, d’architecture, d’art et de design.
Alors que les impacts des changements climatiques dans les communautés s’accentuent, des chercheurs s’inquiètent de l’accroissement des inégalités.
Le plus récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) insiste en effet sur l’importance d’un aspect trop souvent négligé par l’action climatique locale, soit celle de prendre en compte les inégalités.
Les études montrent que les personnes, communautés et groupes les plus affectés par les changements climatiques sont généralement celles et ceux qui ont le moins contribué à l’actuelle crise climatique. Des personnes et communautés marginalisées – par exemple en situation de pauvreté, racisées ou en situation de handicap –, se retrouvent à devoir composer avec une crise multifactorielle complexe qui amplifie leur détresse et leur précarité.
Cela dit, ces groupes et communautés développent des initiatives afin d’accroître la justice climatique à l’échelle locale et réorienter les priorités d’action publique. Ils privilégient par exemple une action climatique concertée autour d’enjeux tels que l’équité, l’autodétermination, la résilience, la réduction de la pauvreté et le vivre-ensemble.
Des recherches témoignent du fait que des politiques d’action climatique locale qui ignorent les diverses formes d’inégalités tendent à accentuer les préjudices vécus par les communautés marginalisées et dans certains cas à retarder les gains en matière climatique.
Il s’agit d’un aspect qui est au centre de nos recherches. Nous sommes impliquées tant à la Chaire de recherche du Canada en action climatique urbaine, qu’à celle en planification urbaine pour les changements climatiques ou sur la transition écologique. Nous avons aussi publié différentes études et articles sur cette question que nous jugeons cruciale.
Il est capital que toute démarche d’action climatique prenne en compte les enjeux d’équité et de justice afin d’éviter que la lutte contre la crise climatique ne se transforme en une crise sociale accrue au sein des communautés marginalisées.
Villes, climat et inégalités
Le Répertoire de recherches Villes, climat et inégalités que nous avons élaboré a pour objectif de rassembler les connaissances et recherches qui étudient les liens entre inégalités, action climatique et transition socioécologique dans les villes et milieux locaux afin de favoriser une action concertée et éclairée des différents acteurs du milieu.
Ce répertoire a été initié par la Chaire de recherche du Canada en action climatique urbaine et le réseau Villes Régions Monde. Des collaborateurs du milieu académique au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique, et du consortium sur la climatologie régionale et l’adaptation aux changements climatiques Ouranos ont contribué à sa constitution.
Les différents domaines de l’action climatique sont souvent traités en silos. De nombreux savoirs et connaissances existent toutefois qui sont produits dans et hors du monde universitaire, et qui permettent de mettre en lumière les angles morts et avancées d’une transition socioécologique plus équitable et plus juste.
Plus d’une quarantaine de synthèses issues de recherches universitaires, collaboratives, participatives ou provenant d’associations (notamment sur l’itinérance, l’inclusion et l’équité territoriale) en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec sont disponibles en ligne.
Catégories d’action
Les actions climatiques peuvent prendre plusieurs formes. L’adaptation aux changements climatiques, qui consiste à s’adapter aux impacts présents et futurs des aléas environnementaux, est notamment étudiée par une recherche qui s’est intéressée au processus de rétablissement des personnes sinistrées ayant vécu les inondations de 2017 et de 2019 à Pointe-Gatineau.
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Plusieurs recherches analysent des initiatives de transition socioécologique urbaine, ainsi que les implications en termes d’équité pour les communautés, par exemple la recherche du Conseil des Montréalaises pour une transition écologique juste et féministe à Montréal.
Des synthèses de recherches présentent quant à elles des cadres explicitant les dimensions d’équité et de justice qu’il convient de considérer face aux changements climatiques.
Types d’acteurs et de démarches
De leur côté, certaines recherches répertoriées mènent des analyses de politiques. Par exemple, quelques synthèses comparent la prise en compte des enjeux d’équité dans les plans climat et environnementaux. Une autre s’intéresse aux façons de soutenir l’action climatique et l’autodétermination autochtone en étudiant l’aménagement éthique du territoire dans la région du Haut-Columbia en Colombie-Britannique.
D’autres études privilégient la recherche-action. C’est le cas de Chemins de transition, qui a utilisé une démarche prospective et participative afin de tracer une trajectoire vers des modes d’habitation du territoire québécois qui soient plus sobres, justes et résilients d’ici 2042.
Citons à cet égard le projet de recherche partenariale FORJE – FORmation collaborative pour la Justice Énergétique, qui vise à développer des pratiques de formation réciproque pour améliorer l’inclusion et la justice épistémique dans la transition énergétique tout en prenant en compte les réalités des luttes et initiatives écocitoyennes.
Deux autres synthèses de recherche-action étudient les acteurs du développement communautaire au Québec et la place qu’y occupent la transition socioécologique et l’adaptation à la chaleur.
Diverses populations, souvent encore peu considérées dans les recherches, mais subissant les impacts climatiques de façon disproportionnée, sont au cœur de certaines synthèses de recherche. Le Yellowhead Institute a par exemple publié un rapport sur l’illusion de l’inclusion des Autochtones dans les plans d’adaptation aux changements climatiques au Canada.
Une autre étude s’est intéressée à la coconstruction d’un cadre collaboratif d’aménagement avec une communauté anishinaabe.
Dans d’autres synthèses, il est également question de réfléchir à une approche inclusive du handicap dans l’action climatique, de donner la voix à des communautés immigrantes et racisées souffrant d’iniquités territoriales, et de la transformation des pratiques de design de l’espace public pour soutenir les populations itinérantes.
Secteurs d’intervention
La recherche d’équité dans l’action climatique doit se faire dans plusieurs secteurs d’intervention, notamment dans le logement et l’habitat, le soutien social, le communautaire et la santé, l’énergie, la mobilité et le verdissement.
Par exemple, le manque d’accès à la mobilité durable et aux logements à proximité du transport collectif entraîne une dépendance accrue à l’automobile. Une recherche s’intéresse ainsi aux programmes d’habitation durable et de mobilité électrique au Québec qui favorisent l’étalement urbain et les inégalités socioéconomiques.
Les inégalités dans la distribution d’espaces verts entraînent une plus grande vulnérabilité aux impacts climatiques comme la chaleur accablante. Ils peuvent également engendrer des inégalités en termes de stabilité résidentielle, liées au phénomène de gentrification verte.
La précarité énergétique, c’est-à-dire le fait que les ménages ne puissent pas répondre à leurs besoins, maintenir des températures saines dans leur logement et vivre dans la dignité, est également un aspect abordé par plusieurs recherches.
Ces recherches récentes sur des questions qui traitent des enjeux et des initiatives dans différentes localités au Canada permettent de répondre à certaines carences de l’action climatique. Elles montrent des analyses et démarches existantes qui peuvent inspirer une réflexivité accrue et contribuer à transformer les priorités et modalités d’action.
À la lumière de ces recherches, on constate que les milieux de pratique gagnent à renforcer les liens et conversations existants entre le champ du social, de l’inclusion et des démarches d’action climatique. En cherchant à accroître la visibilité et l’accessibilité de ces recherches pour les différents milieux, ainsi que leur usage pour une action climatique plus juste et équitable, le Répertoire de recherches Villes, climat et inégalités constitue une contribution en ce sens.
Merci à Nathalie Bleau, coordonnatrice de programmation scientifique en adaptation aux changements climatiques chez Ouranos, pour sa contribution à cet article.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.