3 mars 2025
De nouvelles données sur le « dernier refuge de glace » pourraient contribuer aux efforts de conservation dans l’Arctique
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.

— Amundsen Science
Un texte signé par le chercheur Mathieu Ardyna et la professionnelle de recherche Juliette Provencher, tous les deux associés au Laboratoire international de recherche Takuvik, issu d'un partenariat entre l'Université Laval et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Au début de l’année, l’équipe internationale de scientifiques du projet Refuge-Arctic a quitté Iqaluit, au Nunavut, pour un voyage de recherche de 56 jours dans le Grand Nord. Nous sommes partis à bord du brise-glace CCGS Amundsen avec pour principal objectif d’étudier les hautes latitudes de l’océan Arctique.
Cette partie de l’Arctique joue un rôle clé dans le climat mondial et abrite de nombreux écosystèmes uniques associés à la glace de mer. Notre destination finale était le « dernier refuge de glace », une zone située dans l’extrême nord du Canada et du Groenland.

Notre mission à bord d’un brise-glace dans les régions les plus nordiques du dernier refuge de glace nous a permis d’explorer de nombreuses facettes de cette région peu étudiée. Nous nous sommes intéressés en particulier aux propriétés de la glace de mer, aux gradients physiques et chimiques de l’eau de mer, à la répartition de contaminants tels que le mercure et les microplastiques, à la biodiversité et au réseau alimentaire marin.
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On prévoit que le dernier refuge de glace sera la dernière zone sur Terre à être recouverte de glace de mer tout au long de l’année. Il abrite la glace de mer la plus épaisse et la plus ancienne de l’Arctique, ainsi que d’immenses glaciers le long de ses côtes. Cependant, cette région est soumise aux multiples contraintes des changements climatiques, à la pollution à longue distance par des contaminants et à l’augmentation de l’activité maritime, liée notamment aux bateaux de tourisme.
La région du Haut-Arctique subit déjà une importante perte de glace, et on pense qu’elle deviendra de plus en plus libre de glace au cours des prochaines décennies. Ce changement affectera profondément la vie et les écosystèmes arctiques. Il est donc urgent d’améliorer la compréhension de cette zone en tant que patrimoine mondial unique de la biosphère et en tant que refuge arctique d’une importance capitale pour les espèces qui dépendent de la glace dans un contexte de réchauffement climatique.
L’Arctique
La glace de mer constitue la base de l’écosystème marin complexe de l’Arctique et y joue de nombreux rôles importants. Divers habitats dépendent directement d’elle, et les modifications de son épaisseur et de ses cycles ont de profondes répercussions sur l’avenir de l’ensemble de l’écosystème.
La perte massive de glace de mer est une des manifestations les plus évidentes des changements climatiques dans l’océan Arctique. Notre expédition nous a permis de prélever des carottes de glace dans la nouvelle et l’ancienne glace de mer. Nos carottes contiennent une mine d’informations, et nous sommes en train d’analyser les différentes couches de glace afin d’évaluer comment les contaminants, les oligo-éléments et les microbes se déplacent dans l’océan Arctique.
En plus des mesures effectuées dans l’océan au large des côtes, nous avons prélevé des échantillons de roche, d’eau et de glace dans différents fjords et glaciers côtiers. Dans cette région de l’Extrême-Arctique, les fjords abritant de grands glaciers constituent une part importante de l’écosystème côtier. Les glaciers sont des sentinelles de l’évolution de l’environnement, et leur étude permet de comprendre comment l’environnement peut s’adapter aux changements climatiques.
Avec l’intensification des changements climatiques et la fonte accélérée des glaciers, l’afflux d’eau douce dans les fjords et l’océan augmente, et les zones de transition entre la terre et la mer sont susceptibles de se transformer. Une meilleure connaissance du continuum entre les glaciers, les rivières et l’océan dans les bandes côtières du dernier refuge de glace est d’une importance capitale.
Les glaciers qui se retrouvent dans l’océan rétrécissent rapidement et deviennent peu à peu entièrement terrestres. Ce passage soudain de glaciers marins à glaciers terrestres a des répercussions majeures sur la terre et la mer, notamment par la modification des réseaux alimentaires marins.
Interconnexions arctiques
De nombreux aspects écologiques du dernier refuge de glace demeurent un mystère. À titre d’exemple, notre équipe cherche à mieux comprendre dans quelle mesure l’amincissement de la glace de mer, la réduction de la couverture neigeuse et la présence accrue de mares de fonte peuvent modifier les réseaux alimentaires.
Notre observation des animaux vivant sous la glace a révélé une biodiversité inattendue d’organismes filtreurs. Ce phénomène est étonnant compte tenu de la faible production d’algues dans la glace. De telles découvertes mettent en lumière la nécessité d’améliorer la connaissance du lien entre les communautés vivant sous la glace et celles de l’eau et de la glace qui se trouvent au-dessus.
Au printemps, du phytoplancton peut se développer dans la glace et autour de celle-ci. Nos analyses et modélisations permettent de cerner l’importance de ces sources de matière organique pour les communautés animales des fonds océaniques.
Le dernier refuge de glace est une des rares régions où l’on peut encore évaluer le rôle de la glace de mer de plusieurs années dans la structure et le fonctionnement de l’écosystème arctique. Nos études visent à fournir une prédiction améliorée de l’écologie future d’un océan Arctique transformé avec une couverture de glace réduite.
Besoin urgent de mesures de protection
Les écosystèmes et la biodiversité uniques du dernier refuge de glace sont soumis à de multiples menaces. La création d’aires marines protégées est une priorité absolue pour réduire les risques.
L’aire marine nationale de conservationTallurutiup Imanga a été créée dans la partie sud de la zone. Par ailleurs, une grande partie du secteur le plus au nord a été nommée aire marine protégée provisoire Tuvaijuittuq.
Ces zones de conservation ont été instaurées par le gouvernement fédéral canadien en partenariat avec des organisations autochtones inuites dans le but de protéger à long terme les caractéristiques écologiques uniques de la région.
Dans les années à venir, nous devrons redoubler d’efforts en matière de conservation, car l’Arctique se réchauffe. Nous espérons que nos données contribueront à l’élaboration de stratégies de conservation à long terme pour cette partie de l’océan Arctique d’une importance vitale.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
