12 août 2024
L’appel aux femmes soldates, un besoin existentiel pour la défense et la survie de l’Ukraine
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.
Un texte signé par Renéo Lukic, professeur à la Faculté des lettres et des sciences humaines et membre associé de l'École supérieure d’études internationales de l'Université Laval, et Sophie Marineau, doctorante à l'Université catholique de Louvain et détentrice d'une maîtrise de l'Université Laval.
Plus de deux ans après l’invasion russe en Ukraine, en février 2022, les forces armées ukrainiennes manquent non seulement d’armes, mais aussi de soldats.
Pour combler le manque de soldats déployés sur une ligne de front qui couvre presque un millier de kilomètres, le gouvernement ukrainien a adopté plusieurs stratégies.
Ainsi, le 16 avril 2024, le président Zelensky a signé une nouvelle loi portant sur la mobilisation additionnelle des recrues.
L’Ukraine a besoin d’au moins 300 000 nouveaux soldats pour stopper l’avance de l’armée russe sur le front. Pour recruter les soldats nécessaires, la nouvelle loi a abaissé l’âge de recrutement de 27 à 25 ans. L’âge moyen des soldats ukrainiens est présentement de 43 ans, alors qu’il était de 33 ans en mars 2022. L’armée ukrainienne a donc renoncé, pour le moment, à démobiliser les soldats qui sont au front depuis deux ans, faute de troupes entrainées disponibles pour les remplacer.
Depuis février 2022, 650 000 hommes susceptibles d’être recrutés par l’armée ont quitté l’Ukraine. En 2023 seulement, 1 300 d’entre eux ont été convoqués devant les tribunaux pour avoir résisté à leur conscription et ne pas avoir répondu à l’appel des autorités militaires pour s’enrôler dans les forces armées. La majorité de ces hommes se trouvent hors du pays.
Dès lors, l’appel aux femmes soldates devient d’autant plus un besoin existentiel pour la défense et la survie de l’Ukraine en tant qu’État souverain.
Professeur titulaire de relations internationales au Département d’histoire de l’Université Laval, ma co-auteure, Sophie Marineau, est doctorante à l’Université catholique de Louvain en histoire. Depuis 2014, la guerre en Ukraine et la réaction internationale vis-à-vis du conflit sont au centre de nos recherches respectives.
Les femmes, de plus en plus présentes au sein de l’armée ukrainienne
À l’heure actuelle, selon le ministère de Défense de l’Ukraine, 67 285 femmes servent dans les forces armées ukrainiennes : 47 569 d’entre elles occupent des postes militaires et quelque 5 000 soldates se trouvent sur la ligne de front.
Elles représentent 15 % de l’armée ukrainienne en 2024. Avant l’offensive de 2022, les femmes pouvaient occuper des positions non combattantes : médecins, opératrices, cuisinières, comptables, ingénieures, etc. Depuis 2022, elles peuvent combattre dans des bataillons volontaires et désormais, occuper des positions combattantes légalement au sein de l’armée.
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Elles ont toutes joint l’armée volontairement — aucune loi n’oblige les femmes à s’enrôler dans l’armée, la conscription est encore limitée aux hommes — et pour différentes raisons : elles ne s’enrôlent pas parce qu’elles ont envie de prendre part aux combats, mais parce qu’elles voient leurs proches partir pour le front ou s’enrôler ou par ce qu’elles ne souhaitent pas laisser leurs fils vivre dans un climat de guerre pour encore plusieurs années. Elles rejoignent donc les rangs par nécessité, parce que leur pays a besoin d’elles.
En 2024, il ne fait aucun doute que les soldates ukrainiennes sont indispensables pour l’armée et la défense du pays.
Les Ukrainiennes en mode auto-défense
Après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, les femmes commencent à intégrer les forces armées ukrainiennes. Elles atteignent alors le nombre de 16 500.
Le blitzkrieg, soit l’offensive russe lancée par Moscou le 24 février 2022 contre l’Ukraine, demeure cependant la plaque tournante du recrutement volontaire des femmes au sein de l’armée ukrainienne. Les crimes de guerre commis par l’armée russe dans la ville de Boutcha et aux alentours de Kiev en février et mars 2022 motivent également de nombreuses femmes à s’enrôler.
Le massacre des civils de Boutcha fut accompagné de viols multiples de femmes par les soldats russes, suivi par l’enlèvement et la déportation d’enfants vers la Russie. Pour ces crimes, la Cour Pénal International (CPI) a notamment entamé une procédure contre le président russe Vladimir Poutine.
Avec l’intensification de la guerre, les viols des Ukrainiennes par les soldats russes deviennent malheureusement pratique courante dans les territoires occupés. L’entrée massive des femmes dans l’armée répond donc non seulement aux besoins de la défense de l’État ukrainien, mais également à la nécessité d’apprendre à s’auto-défendre, si elles devaient se trouver face à face avec l’occupant.
De nombreux défis à surmonter
Malheureusement, certains problèmes suivent la progression des femmes dans l’armée. On dénote des cas de sexisme et de harcèlement sur le front.
L’armée ukrainienne éprouve aussi des difficultés à produire des uniformes et des équipements pour son personnel féminin. Les femmes occupant des positions non combattantes portaient souvent des jupes et des souliers à talons hauts. Il leur faut maintenant des uniformes de combat adaptés.
Plusieurs se sont fait donner des uniformes, des chaussures et des bottes masculins, trop grands, et des vêtements non adaptés. L’approvisionnement en produits d’hygiène féminine est aussi un enjeu sur le front.
Afin de pallier à ce manque d’uniformes appropriés, le gouvernement canadien a livré 2 000 uniformes aux femmes soldates en 2024. Pour la première fois, en février, les femmes ont reçu des uniformes de combat d’été adaptés.
Les autorités ukrainiennes ne dévoilent pas officiellement les pertes des soldats ni de soldates ukrainiennes. Cependant, selon les plus récentes estimations, une centaine de femmes seraient tombées au combat et 500 autres ont été blessées.
La question la plus délicate aujourd’hui en Ukraine concerne celle de la mobilisation. Les forces armées ukrainiennes peinent à recruter de nouveaux soldats pour les envoyer sur un front de plus d’un millier de kilomètres. À cet égard, la présence des femmes soldates prend une signification stratégique majeure. Tous les indicateurs de la guerre en Ukraine nous laissent croire que cette guerre sera encore longue et meurtrière.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.