26 juin 2024
Ozempic, Wegovy, Rybelsus… perd-on de vue la santé globale ? Voici ce que dit la science
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.
Un texte cosigné par Jean-Philippe Drouin-Chartier, professeur à la Faculté de pharmacie.
L’engouement pour les nouveaux médicaments de la classe des analogues du GLP-1 (Glucagon Like Peptide 1) et du GIP (Gastric Inhibitory Polypeptide), mieux connus sous les noms commerciaux Ozempic et Wegovy, est remarquable, mais pas totalement inédit dans l’histoire des « blockbusters » pharmaceutiques.
Il reste que le volume de prescriptions et le budget qu’y consacrent les régimes publics d’assurance maladie explosent, et avec eux les bénéfices des compagnies qui les fabriquent.
Une part importante de la popularité de ces médicaments vient des réseaux sociaux, qui ne sont pas toujours la meilleure source d’informations en matière de santé. Quand il est question de perte de poids en particulier, beaucoup de fantasmes et de préjugés peuvent intervenir, au détriment du bien-être de tous, et particulièrement de celui des personnes déjà stigmatisées.
En tant que spécialistes en philosophie de la médecine (Université de Montréal), en sciences de la nutrition et de l’alimentation (Université Laval), en sociologie du médicament (Université de Montréal) et en endocrinologie (Institut de recherches cliniques de Montréal), il nous paraît nécessaire de prendre un pas de recul et de faire le point sur ces nouveaux traitements, sur leurs promesses mais aussi sur leurs limites.
Le meilleur des deux mondes
Les analogues du GLP-1/GIP ont d’abord été développés pour réguler la glycémie (taux de sucre dans le sang) des personnes vivant avec le diabète de type 2 (DT2), et ainsi prévenir les complications liées à cette maladie. C’est au cours des études menées pour évaluer leur innocuité et leur efficacité qu’on a remarqué qu’ils entraînaient aussi un amaigrissement. Ceci a suscité de nouvelles recherches qui ont montré qu’à plus fortes doses, ces médicaments pouvaient conduire à une perte de poids très importante, variant de 15 à 25 % par rapport au poids de départ.
Le mode d’action de ces médicaments sur la régulation de la glycémie est clair : ils simulent des hormones incrétines qui augmentent la sécrétion d’insuline. La perte de poids, elle, n’a été expliquée qu’après coup : outre le pancréas, ces molécules agissent aussi sur le cerveau en régulant la sensation de satiété et, indirectement, sur l’estomac en ralentissant la vidange gastrique. Ces deux effets conjugués diminuent l’appétit et entraînent la diminution du poids.
C’est ainsi qu’une nouvelle indication est apparue, et qu’une compagnie comme Norvo-Nordisk a commencé à commercialiser le même médicament sous deux noms différents : Ozempic pour le traitement du DT2, et Wegovy pour la prise en charge de l’obésité.
Une nouvelle ère
Les analogues du GLP-1/GIP constituent une avancée thérapeutique bienvenue dans un contexte où les prévalences du DT2 et de l’obésité explosent et affectent des personnes de plus en plus jeunes.
Ces maladies touchent particulièrement les femmes, les membres des groupes racisés et les populations socio-économiquement défavorisées. Les souffrances physiques et mentales engendrées, ainsi que les coûts associés à leur prise en charge sont considérables. L’arrivée de nouvelles armes dans l’arsenal thérapeutique est donc source d’espoir.
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Certes, des interventions draconiennes ciblant le mode de vie sont efficaces. Mais elles sont très difficiles à mettre en place et à maintenir dans le temps pour des raisons qui dépassent la sphère individuelle : d’une part, les prédispositions génétiques jouent un rôle important dans le développement du DT2 et de l’obésité ; d’autre part, parce que ces conditions sont multifactorielles, une prise en charge efficace et durable ne peut être que globale, mêlant interventions médicales mais aussi nutritionnelles, fonctionnelles, psychosociales, environnementales, voire institutionnelles.
De tels dispositifs d’accompagnement existent, mais seulement dans de grands centres hospitalo-universitaires auxquels beaucoup n’ont pas accès. Nombre de personnes n’ont pas non plus facilement accès à une offre alimentaire saine et diversifiée, à des infrastructures sportives, ou à du soutien social et psychologique.
Traiter les effets mais pas les causes
Pour être efficaces sur la durée, les analogues du GLP-1/GIP doivent être pris en continu : sans changement drastique des habitudes de vie, le poids perdu est repris dans l’année qui suit l’arrêt, et l’équilibre glycémique à nouveau compromis.
Ils traitent donc les effets mais pas les causes du DT2 et de l’obésité. Certaines de ces causes sont pourtant modifiables : ainsi, selon Statistiques Canada, moins de la moitié de la population canadienne (49,2 % pour les adultes ; 43,9 % pour les jeunes et les enfants) atteint la quantité d’activité physique hebdomadaire recommandée. Selon la même source, l’insécurité alimentaire toucherait environ 14 % de la population québécoise (22 % en Alberta).
Un traitement pharmacologique, même s’il permet de manger moins, n’implique pas que l’on va manger mieux. De même, perdre du poids ne signifie pas qu’on devient plus actif ou en santé. Ces nouveaux médicaments ne guérissent donc pas le DT2 ni l’obésité. Ils n’empêchent pas non plus de développer ces maladies, mais permettent de limiter les nombreuses complications auxquelles elles exposent.
Prescrire et soigner
Un médicament comme le Mounjaro a une efficacité sur la perte de poids comparable à celle de la chirurgie bariatrique. Beaucoup plus facile à administrer et beaucoup moins risqué, il pourrait vraiment changer la donne pour le traitement de l’obésité. Prescrit directement par les médecins de famille et délivré en pharmacie, il serait de surcroît beaucoup plus accessible et facile à administrer pour les personnes qui en ont besoin.
Se pose alors la question des coûts et remboursements, mais pas seulement : prescrire n’est pas soigner. Les fabricants suivent ici les recommandations des autorités de santé : ce traitement doit s’accompagner d’une évaluation attentive, puis d’une prise en charge et surtout d’un suivi étroit et régulier impliquant l’alimentation, l’activité physique, la santé mentale, et si besoin, une assistance sur le plan socio-économique.
Ceci nécessite non seulement du temps dont ne disposent pas les omnipraticiens, mais également une coordination avec les autres acteurs du réseau de la santé. Le problème n’est pas de savoir si le traitement sera efficace, mais de réfléchir à ce qui peut arriver s’il l’est. Perdre 25 % de son poids corporel en quelques mois a des conséquences sérieuses, qui ne sont pas toujours bénéfiques : cela implique une perte de masse grasse mais aussi de masse musculaire, laquelle est associée à une fatigue intense. Il ne faut pas non plus sous-estimer le défi que s’adapter physiquement et psychologiquement à une telle transformation de son corps représente. Perdre du poids ne résout pas tout, les attentes doivent demeurer réalistes.
Quelles leçons ?
L’efficacité clinique des analogues du GLP-1/GIP pour la réduction des complications liées au DT2 et à l’obésité est indiscutable. Ces médicaments ne conviennent cependant pas à tout le monde, et ils n’ont surtout rien de remèdes miracles qui permettraient de recouvrer la santé sans rien changer à son mode de vie ou à son environnement.
On doit garder en tête que leur succès, commercial autant que médical, est aussi le produit d’un échec : celui de nos sociétés à prévenir ces maladies, à promouvoir de saines habitudes de vie, et à développer des milieux favorables à la santé de tous.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.