31 juillet 2024
Plantes aquatiques envahissantes : choisir ses combats
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.
Un texte signé par Claude Lavoie, professeur à la Faculté d’aménagement, d’architecture, d’art et de design.
En Amérique du Nord, de nombreux lacs sont envahis à des degrés divers par des plantes exotiques au caractère envahissant.
Une plante envahissante est un végétal qui colonise (ou a colonisé dans le passé) de nouveaux sites ou de nouvelles régions à un rythme rapide, et qui produit des populations dominantes, que ce soit au niveau du couvert ou du nombre d’individus, ou les deux. Les humains contribuent à l’invasion en introduisant la plante ou en préparant le terrain à l’envahisseur.
Une invasion de plantes ne constitue pas nécessairement un problème d’envergure pour la santé environnementale d’un plan d’eau. Mais il est certainement celui qui est le plus visible et le plus dérangeant pour les propriétaires riverains.
Cet article fait partie de notre série Nos lacs : leurs secrets, leurs défis.. Cet été, La Conversation vous propose une baignade fascinante dans nos lacs. Armés de leurs loupes, microscopes ou lunettes de plongée, nos scientifiques se penchent sur leur biodiversité, les processus qui s'y produisent et les enjeux auxquels ils font face. Ne manquez pas nos articles sur ces plans d'eau d'une richesse inouïe !
Le myriophylle à épis est, dans le nord-est du continent et dans certains états du Midwest américain, la plante envahissante aquatique la plus préoccupante. Est-il possible de le combattre ? Oui, mais le prix à payer est élevé et la lutte, perpétuelle.
Mon équipe de recherche à l'Université Laval s'interroge depuis plusieurs années non seulement sur la pertinence scientifique de la lutte, mais aussi sur sa faisabilité opérationnelle et sur ses coûts… souvent tout ce qui compte en définitive.
Un envahisseur asiatique
Le myriophylle à épis est une plante vasculaire herbacée. La sève circule dans des vaisseaux, ce n'est donc pas une algue.
Il a été introduit aux États-Unis dans les années 1940 à partir de la Chine ou de la Corée du Sud, probablement comme plante d’aquarium. Il s'est depuis propagé dans tous les états américains et dans trois provinces canadiennes (Colombie-Britannique, Ontario, Québec).
Il colonise les zones peu profondes des étangs, des lacs et des rivières, où il peut former des herbiers très denses de plusieurs milliers de mètres carrés. Ses effets sur la biodiversité sont peu documentés. Mais comme il occupe le même espace en profondeur que plusieurs plantes aquatiques nord-américaines, il appauvrit probablement la diversité végétale des plans d’eau lorsque présent en forte densité, puisqu'il accapare alors les ressources (lumière, nutriments).
Il a davantage d’impact sur la baignade, la navigation de plaisance ou même la valeur des propriétés, particulièrement dans les petits lacs qu’il peut parfois occuper sur l’ensemble de leur superficie.
Une lutte de longue haleine
Aux États-Unis, la lutte contre le myriophylle s’effectue la plupart du temps avec des herbicides. Ils ont un effet à très court terme, mais les pulvérisations doivent être régulièrement répétées pour qu’il se maintienne. Les plantes indigènes sont souvent plus affectées par le pesticide que le myriophylle, ce qui laisse le champ libre à l’envahisseur.
L’arrachage des tiges et des racines s’avère plus efficace. Les lacs George et Upper Saranac (respectivement 110 et 19 km2), dans l’état de New York, figurent parmi les très rares lacs en Amérique du Nord à avoir réduit de manière considérable et surtout durable la superficie de leurs herbiers de myriophylle.
Cet exploit a été accompli grâce à de patientes corvées d’arrachage avec de grosses équipes de plongeurs qui ont permis de retirer, au fil des années, des milliers de kilogrammes de myriophylle.
Au lac Upper Saranac, la campagne de lutte, amorcée en 2004, a permis d’arracher plus de 22 tonnes métriques de myriophylle (un peu plus qu'un camion benne de 12 roues) les trois premières années, un effort de près de 35 000 heures-personne de plongées. La quantité de myriophylle (biomasse) dans le lac a ainsi été réduite de 97 %, un véritable coup de massue contre l’envahisseur.
La lutte intensive a ensuite fait place à une lutte de maintenance qui se traduit depuis plusieurs années par une récolte estivale minime (20 kilogrammes en 2023). Ce travail est exemplaire quant à sa durabilité, mais il a tout de même engendré des déboursés totaux de plus de deux millions de dollars.
Mon équipe a répété l’expérience dans un plus petit lac du sud du Québec, le lac des Abénaquis (1 km2). Nous avons émis l’hypothèse que nous pourrions arriver au même résultat qu’au lac Upper Saranac, mais plus rapidement et à moindre coût en ajoutant à l’arrachage une utilisation judicieuse de toiles synthétiques pour recouvrir les grands herbiers. Ces toiles constituent un obstacle physique à la croissance des tiges et dix semaines suffisent pour qu’elles parviennent à éliminer le myriophylle qui se trouve en dessous. On peut ensuite les réutiliser ailleurs les étés subséquents.
Grâce à une bonne planification stratégique priorisant les herbiers les plus problématiques, nous sommes parvenus, en cinq ans, à réduire de 95 % la superficie des herbiers de myriophylle présents dans le lac. Cela fonctionne donc ! Mais pour y arriver, il a fallu investir au bas mot plus de 200 000 $ pour chaque hectare d’herbier à éliminer.
De plus, si les résultats de la lutte intensive ne sont pas préservés dans le futur par une lutte de maintenance qui élimine sans tarder les herbiers en reconstruction – car on ne parvient jamais à éradiquer totalement le myriophylle d’un lac – cet investissement aura été fait en pure perte, puisqu’il ne faudra que quelques années pour revenir à la situation initiale.
Un pensez-y-bien
Le coût de la lutte peut être réduit de moitié par l’implication de bénévoles et par la contribution d’acteurs locaux, comme les municipalités. Mais elle demeure très coûteuse si elle est entreprise tardivement, c’est-à-dire une fois que le myriophylle est solidement implanté.
Avant d’amorcer une campagne de lutte, les associations de propriétaires riverains et les municipalités concernées doivent donc d’abord établir un bilan de santé complet de leur lac et classer les agents perturbateurs par ordre de priorité. Si le myriophylle ne constitue que le symptôme visible de problèmes plus profonds, l’investissement dans la lutte n’est peut-être pas celui qui sera le plus judicieux. Il vaudra mieux alors investir à la source, comme dans la réduction des apports en azote et en phosphore, que de faire de l’arrachage et du bâchage.
Un pensez-y-bien, donc, mais heureusement, les citoyens et les citoyennes, de même que les personnes qui les représentent, sont de mieux en mieux armés pour prendre des décisions éclairées avec de solides fondements scientifiques pour améliorer l’état de leur lac.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.