27 août 2024
Caribou forestier : les revendications autonomistes de Québec se heurtent à la protection des écosystèmes
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.
Un texte signé par le professeur Jérôme Gosselin-Tapp de la Faculté de philosophie.
Plusieurs hardes de caribous font face à une menace imminente de disparition au Québec, notamment dans les régions de Val-d’Or, de Charlevoix et du Pipmuaca. Les estimant mal protégées dans la province, le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault a lancé, en juin, le processus de consultation menant à l’adoption d’un décret en vertu de la Loi sur les espèces en péril pour la protection du caribou forestier.
Cette démarche, qui survient après plusieurs années de tergiversation, vise à pallier l’insuffisance du plan d’action déposé en avril 2024 par le gouvernement québécois. Ce plan a été décrié tant par les experts en conservation que les représentants innus.
Le décret d’urgence d’Ottawa limitera la coupe forestière dans des zones ciblées comme « meilleur habitat disponible » pour les populations de caribou. Ce décret potentiel fait par ailleurs l’objet cette semaine, à Ottawa, d’une étude d’un comité de la Chambre des communes. Elle a été notamment réclamée par le Bloc Québécois.
Sans surprise, le gouvernement caquiste, de même que certains partis d’opposition au fédéral, s’opposent vertement à ce décret. On anticipe notamment des pertes d’emplois importantes associées à sa mise en œuvre. On déplore aussi cette intervention du fédéral dans les champs de compétences du Québec. Deux ministres provinciaux, Benoît Charrette, et Maïté Blanchette Vézina, ont même qualifié d’« illégitime » cette décision du gouvernement fédéral, et ont du même coup refusé de participer aux rencontres de consultation en vue de l’adoption du décret d’urgence.
Dans un article récemment paru dans la revue Études canadiennes/Canadian Studies, j’ai étudié comment le contexte écologique et politique actuel (mondial et local) influence la légitimité des revendications autonomistes provenant de nations internes comme le Québec.
Au nom de l’autonomie territoriale, une communauté peut-elle revendiquer le droit de ne pas protéger des milieux naturels ou des espèces menacées ?
Le caribou : un cas d’espèce
Si la question de la protection du caribou forestier est aussi délicate, c’est qu’elle oppose d’importants enjeux économiques et environnementaux.
L’industrie forestière, dont les activités empiètent sur l’habitat du caribou, génère approximativement 57 000 emplois (2021) et des retombées économiques pour plus de 80 % des municipalités au Québec.
La politisation du dossier du caribou ne date d’ailleurs pas d’hier et transcende les allégeances partisanes. En 2014, le premier ministre Philippe Couillard promettait qu’il ne « sacrifierait pas une seule “job” dans la forêt pour les caribous ». En 2022, Yves-François Blanchet a aussi voulu se faire rassurant auprès des forestières, en suggérant que « la base purement scientifique de l’enjeu [du caribou] n’est pas suffisamment démontrée ».
Cette affirmation est loin d’être fondée. En effet, de nombreux articles scientifiques ont montré que l’état des populations est directement lié aux activités forestières. Les coupes massives ont notamment pour effet de détruire les habitats de mise bas de ces cervidés et d’augmenter la prédation par le loup.
Qu’on le veuille ou non, tout plan d’action crédible en matière de protection du caribou aura donc un effet sur l’industrie forestière. En revendiquant le droit de préserver cette industrie, c’est le droit de ne pas protéger ses écosystèmes que le Québec s’arroge.
De l’inaction à la recolonisation
Le dossier du caribou est non seulement le théâtre d’un bras de fer intergouvernemental, mais aussi de tensions entre le Québec et les communautés autochtones dont le territoire ancestral recouvre l’habitat du caribou forestier.
Plusieurs représentants de communautés autochtones (notamment les Innus de Pessamit, d’Essipit et de Mashteuiatsh) considèrent que le gouvernement du Québec a failli à son devoir constitutionnel de les consulter en octroyant des permis de coupe dans l’habitat du caribou sans les consulter au préalable.
L’aire de répartition du caribou forestier recouvre en effet complètement le Nitassinan, territoire ancestral des Innus. Le caribou (atiku en innu aimum) est central dans la culture innue, de telle sorte que le déclin des populations de ce cervidé induit un effritement de cette culture.
L’inaction du gouvernement québécois n’a donc pas seulement eu pour effet de mettre en danger la biodiversité, mais aussi la diversité culturelle et nationale du Québec.
Autonomie environnementale
La société québécoise n’en demeure pas moins justifiée à lutter pour une plus grande autonomie en matière de politiques environnementales. C’est un corollaire de son droit à l’autodétermination.
Les questions territoriales ont toujours été au cœur des revendications politiques des groupes nationaux. Revendiquer une telle autonomie environnementale se justifie en ce qu’elle permet de promouvoir certaines valeurs sociales, voire d’honorer des accords internationaux, en choisissant les règles qui régissent le rapport entre les individus et les milieux naturels.
Au Canada, l’environnement est cependant une compétence partagée entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Au nom de l’autonomie territoriale, certains partis politiques québécois souhaiteraient donc que soit réaffirmée la « primauté de la compétence du Québec » en matière de protection de l’environnement, comme lors du dépôt du projet de loi 391 en 2019 par le Parti Québécois.
Des limites aux revendications autonomistes
Les revendications autonomistes du gouvernement provincial doivent tout de même être soupesées à la lumière des autres obligations morales et politiques que le Québec a en tant que groupe national. Ceci inclut notamment la préoccupation croissante des personnes pour les écosystèmes qu’elles habitent de même que les obligations liant le Québec aux autres communautés humaines.
La communauté internationale a entre autres pris des engagements formels visant à lutter contre le déclin mondial de la biodiversité lors de la COP15. L’idée selon laquelle les nations ont le devoir de mettre en place des stratégies concrètes (et efficaces) pour freiner le déclin de la biodiversité fait désormais consensus. Le Québec n’y fait pas exception.
Dans le contexte politique et environnemental actuel, l’autonomie environnementale revendiquée par des acteurs politiques québécois a ainsi tout intérêt à être accompagnée d’une vision claire et ambitieuse en matière de protection de l’environnement, d’une reconnaissance des droits des nations autochtones, et d’une conformité avec les résolutions prises par la communauté internationale. Faute de quoi, les discours autonomistes sont voués à être contestés par les différents groupes avec qui le Québec partage ses écosystèmes.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.