24 octobre 2024
Les terres fertiles du Québec sont en péril. Une découverte scientifique pourrait renverser la vapeur
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.
Un texte signé par la doctorante Karolane Bourdon, la professeure Jacynthe Dessureault-Rompré, le professeur Jean Caron et la professeure Josée Fortin, tous les quatre de la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation.
Au Québec, une grande partie des légumes que nous consommons sont cultivés en Montérégie sur un type de sol dit organique. Ces sols, très fertiles et riches en matière organique, sont particulièrement adaptés à la production de légumes.
Cependant, de nombreux agriculteurs et agricultrices constatent, avec inquiétude, une dégradation rapide de ces sols depuis plusieurs années. En fait, ils se dégradent à une telle vitesse qu’ils pourraient être amenés à disparaître d’ici 50 ans.
Cette situation est alarmante, car les sols organiques sont parmi les piliers de l’autonomie alimentaire de la province et sont essentiels à la production de légumes que nous consommons quotidiennement. Il est donc crucial de contrer leur dégradation.
Heureusement, nos travaux de recherche menés à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval, en partenariat avec 14 fermes maraîchères, donnent une lueur d’espoir pour assurer la pérennité de ces sols.
Une dégradation issue des forces de la nature
Les sols organiques sont caractérisés par leur forte teneur en matière organique, qui varie de 30 % à près de 100 %. Ils sont principalement constitués de résidus de plantes, de façon similaire à un compost. Ils se forment dans les tourbières où le sol est gorgé d’eau, ce qui empêche l’entrée d’oxygène dans celui-ci et ralentit la décomposition des résidus de plantes hydrophiles qui s’y accumulent au fil du temps.
La première étape essentielle à la mise en culture de ces sols est le drainage, soit le fait de retirer l’eau du sol. À ce moment, de l’oxygène s’y introduit, élément essentiel à la croissance des plantes. Toutefois, l’entrée d’oxygène accélère l’activité des microorganismes du sol qui décomposent la matière organique accumulée. Le carbone organique du sol, principal constituant de la matière organique, est alors transformé en CO2 (gaz carbonique) qui se dissipe dans l’air. La matière organique accumulée disparaît donc graduellement. Ainsi, chaque année, cette décomposition microbienne entraîne la perte d’environ 1 centimètre de sol organique.
En plus des pertes de sols, la décomposition par les microbes altère aussi la qualité du sol. Le sol, initialement composé de fibres de plantes, est graduellement transformé en fines particules similaires à de la cendre. Cette matière plus fine fait en sorte que le sol devient plus compact et moins aéré, ce qui ralentit les échanges d’eau et d’air, essentiels à la croissance des plantes agricoles. Ces fines particules sont également facilement emportées par le vent, ce qui accélère la perte de sol.
À l’heure actuelle, près de 16 % des superficies de sols organiques cultivés de la Montérégie sont déjà considérés comme minces et très dégradés en raison de leur forte décomposition. Il s’agit d’un constat alarmant pour l’avenir de la production maraîchère, surtout si cette proportion s’accroît.
Les agriculteurs et les agricultrices de la région, premiers témoins de cette dégradation, cherchent des solutions afin de protéger leurs terres.
Une solution fondée sur la nature
Auparavant, la principale méthode recommandée pour conserver les sols organiques était l’application de cuivre afin de ralentir la décomposition par les microbes. Le cuivre a la capacité de freiner l’activité des enzymes produites par les microorganismes, ralentissant en quelque sorte leur système digestif.
Cependant, nos travaux ont révélé que cette approche était peu efficace, en plus de poser un risque de contamination environnementale en raison de la dispersion potentielle du cuivre dans les milieux naturels.
La nouvelle approche que nous proposons repose sur le principe naturel de la photosynthèse. Par ce processus, les plantes utilisent l’énergie du soleil et le CO2 de l’air pour produire des tissus végétaux. Les plantes transforment alors le CO2 de l’air en carbone organique, qui est le principal constituant de la matière organique. Ce processus est donc inverse à la décomposition.
La paille et le bois sont particulièrement riches en matière organique et en carbone organique. C’est pourquoi nous avons ciblé ces matériaux, qui sont produits sur des terres peu fertiles, récoltés, puis appliqués aux sols organiques pour y apporter du carbone.
La paille et le bois à la rescousse
Nos travaux de recherche ont montré que l’application de paille ou de copeaux de bois sur les sols organiques permettrait de compenser les pertes de carbone et de sol causées par la décomposition microbienne. De plus, une fois mélangés au sol à des doses appropriées, la paille et les copeaux de bois ont le potentiel de restaurer l’aération et le drainage du sol, essentiels à la bonne croissance des légumes.
Cependant, comme l’apport de nouvelle matière organique au sol stimule l’activité microbienne, les doses doivent être ajustées afin d’éviter une trop forte compétition entre les plantes et les microbes du sol pour certains éléments essentiels tel que l’azote. Il est donc important d’appliquer les doses appropriées afin de maintenir un équilibre entre les besoins des microbes du sol et ceux des plantes.
Ainsi, cette pratique a le potentiel de régénérer les sols organiques cultivés et d’améliorer l’empreinte climatique de nos légumes québécois.
En parallèle, nous avons aussi exploré l’utilisation de polyphénols pour ralentir la décomposition. Ces molécules produites par les plantes sont reconnues pour ralentir l’activité des enzymes dégradatives dans les sols organiques naturels, mais leur utilisation n’avait pas encore été étudiée pour les sols organiques cultivés. Cette approche a montré un potentiel prometteur, mais nécessite des études plus approfondies avant d’être appliquée à grande échelle. Nos études se sont pour l’instant limitées à un petit nombre de sols, ce qui ne permet pas de généraliser les conclusions à grande échelle.
D’autres travaux sur l’érosion par le vent et le drainage sont également en cours au sein de l’équipe pour permettre la conservation et la restauration de ces sols centraux en production maraîchère.
Mobilisation du milieu agricole
Les agriculteurs et agricultrices, conscients de l’urgence d’intervenir pour sauver leurs sols, ont déjà commencé à appliquer de la paille et des copeaux de bois sur leurs terres afin de préserver cette ressource, limitée et fragile, pour les générations futures. Ils se sont aussi unis à nouveau pour participer à un programme de recherche qui se déroulera de 2024 à 2029 et qui servira à optimiser cette solution.
Cette initiative a attiré l’attention d’agriculteurs et de chercheurs internationaux qui sont venus de l’Angleterre, de la Belgique, de la Finlande et de la Suède pour visiter les fermes du Québec où cette nouvelle pratique a été adoptée.
En effet, la dégradation des sols organiques cultivés est un phénomène mondial qui menace de faire disparaître plusieurs zones de production agricole hautement fertiles. D’où l’importance de s’y intéresser et d’agir rapidement.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.