15 juillet 2024
Télétravail: Quelles différences entre les hommes et les femmes… et entre les Québécois et les Français?
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.
Un texte cosigné par Gaëlle Cachat-Rosset, professeure adjointe à la Faculté des sciences de l'administration
Durant la pandémie, notre équipe de recherche franco-québécoise a analysé les niveaux et les facteurs de stress des personnes en télétravail. Nous avons relevé des différences entre les femmes et les hommes, mais aussi entre le Québec et la France. Des leçons peuvent en être tirées encore aujourd’hui afin de renforcer le mieux-être en télétravail.
Respectivement Professeure à la Faculté des Sciences de l’Administration de l’Université Laval et Professeur de gestion des ressources humaines à TBS Education (anciennement Toulouse Business School), nous avons comparé le régime social des deux côtés de l’Atlantique, notamment en matière d’allocations parentales, d’accès aux garderies, de congé de paternité ou d’équité salariale.
Les résultats de nos recherches, en collaboration avec d’autres chercheurs, ont récemment été publiés dans un article paru dans la revue New Technology, Work and Employment.
Le Québec et la France en contraste
Le régime social des deux côtés de l’Atlantique a été comparé en matière d’allocations parentales, d’accès à des garderies, de congé de paternité ou d’équité salariale.
Rappelons qu’en la matière, le Québec met en branle depuis près de trente ans des politiques publiques particulièrement proactives. Grâce à elles, la plupart des parents d’enfants en bas âge peuvent accéder à des centres de garde largement subventionnés. Les pères sont également fortement incités à prendre un congé de paternité long (5 semaines), puis un congé parental grâce à une allocation d’éducation bien plus généreuse qu’en France.
Par rapport à la France, l’écart salarial femmes-hommes au Québec est par ailleurs plus faible de 40 %, ce qui a pour effet d’encourager davantage encore l’investissement des femmes dans la sphère professionnelle.
Genre, stress, contexte social : une relation complexe
En France, les femmes en télétravail durant la pandémie ont connu un niveau de stress de 7 % plus élevé que les hommes, tandis que dans le contexte québécois plus égalitaire, aucun écart n’a été observé.
En France, l’empiètement de la famille sur le travail à domicile a été particulièrement stressant pour les femmes, alors que les hommes étaient moitié moins affectés.
Cela suggère que les hommes français ont été en quelque sorte épargnés par le stress lié à l’empiètement de la famille lors des heures de télétravail, et ce justement grâce à la présence de leur conjointe, pourtant en télétravail elle aussi. Les femmes françaises semblent donc avoir absorbé la plus grande part du stress lié aux conflits famille-travail pendant cette période.
Au Québec, la situation a été bien différente. Les hommes québécois se sont avérés en moyenne 4 % plus stressés que leurs homologues français. Un résultat notamment attribuable à leur participation plus active à la maison et auprès des enfants, en lien avec la culture d’égalité femme-homme plus mature au Québec.
Fait troublant, ce partage des tâches familiales plus égalitaire n’a pas pour autant réduit le stress des femmes québécoises. Si un régime social plus égalitaire contribue donc bel et bien à gommer l’écart entre femmes et hommes concernant le stress lié à la famille lors du télétravail, on constate que ce résultat est atteint, non pas en réduisant le stress des femmes, mais en augmentant celui des hommes.
Au contraire de ce que l’on aurait pu penser, le stress en télétravail ne semble donc pas être un gâteau que l’on se partage.
Les Québécois plus stressés par l’isolement que les Québécoises
Au Québec, les salariés ont vu leur stress être affecté plus fortement de 20 % qu’en France par le sentiment d’être coupés de leur lieu de travail habituel. Les hommes, en particulier, ont été encore plus stressés que les femmes par ce sentiment d’isolement, alors qu’aucune différence de genre n’a été notée en France. Cela suggère que la perte du contact direct avec l’organisation a été perçue comme une plus grande difficulté pour les Québécois, notamment les hommes.
Ces derniers se sont également montrés plus sensibles au fait de disposer d’outils de travail à distance efficaces et d’un environnement de travail à la maison de qualité, probablement en raison de l’importance des technologies de l’information et de la communication pour maintenir ce lien à distance avec l’organisation, les gestionnaires et les collègues de travail.
Comment expliquer cet écart entre hommes et femmes ? Les travaux sur les différences culturelles et dans le rapport des individus avec le travail peuvent apporter des pistes d’éclairage. Au Québec, le travail semble être une valeur plus centrale pour les hommes, alors qu’en France, le fait d’afficher une distance par rapport à son organisation et à son travail est socialement plus valorisé, tous genres confondus. On parle d’une culture de « travailler pour vivre » en France, par rapport à une culture « vivre pour travailler » au Québec.
Comment agir pour réduire le stress en télétravail ?
Pour réduire le stress dans un contexte de télétravail, les organisations peuvent mettre en œuvre des mesures concrètes. Des modalités de travail et d’horaire flexibles peuvent notamment aider la conciliation travail-famille pour tous. Il est aussi nécessaire de fournir un environnement et des outils de télétravail adéquats pour réduire le stress.
Des actions peuvent être prises pour contrer l’isolement de l’organisation, en développant la rétroaction fréquente des gestionnaires vers leurs équipes, en encourageant les interactions informelles entre les membres du personnel – y compris à distance –, en instaurant un climat de soutien et de collaboration basé sur la confiance interpersonnelle.
Enfin, les politiques publiques jouent un rôle clé pour diminuer l’écart de stress entre les hommes et les femmes, notamment en instaurant un régime social plus égalitaire.