17 juillet 2024
Une petite plante aquatique, la lentille d’eau, pourrait révolutionner l’alimentation de demain
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.
Un texte cosigné par Tristan Muller, étudiant au doctorat et Laurent Bazinet, professeur à la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation
De prime abord, l’idée de manger des plantes aquatiques pourrait vous sembler peu ragoûtante.
Or, dans certaines régions d’Asie du Sud-Est, une petite plante appelée lentille d’eau est consommée depuis des décennies, tant par les animaux d’élevage que par les humains.
Chercheurs en science des aliments, nous proposons de mettre en lumière l’univers fascinant de ces plantes méconnues à haute teneur en protéines. Nous sommes d’avis qu’elles ont le potentiel de révolutionner nos assiettes !
Petites plantes, grand potentiel
Les lentilles d’eau sont des plantes aquatiques qui peuplent la surface des eaux douces à travers le monde.
On en compte plusieurs espèces, qui se distinguent principalement par la taille de leurs feuilles. Ces plantes sont d’une simplicité remarquable : une petite feuille qui flotte sur l’eau munie d’une racine minuscule, ne s’ancrant même pas au sol…
À première vue, les lentilles d’eau peuvent sembler anodines, peut-être même un peu trop communes pour susciter l’intérêt.
Mais sous cette apparence modeste se cache une véritable usine à protéine !
En effet, lorsqu’elles poussent dans des conditions optimales, les lentilles d’eau peuvent contenir jusqu’à 45 % de protéines, et représentent alors une excellente source de ce nutriment essentiel.
Des études ont montré qu’un hectare de lentilles d’eau peut produire entre 10 et 18 tonnes de protéines par an. En comparaison, le soja, qui est la légumineuse la plus cultivée au monde, en produit seulement 0,6 à 1,2 tonne.
De plus, ces plantes ont la particularité de se multiplier très rapidement. Si rapidement que la quantité de lentilles d’eau dans un bassin peut doubler en moins de 48 heures
Ces performances olympiques soulèvent alors une question cruciale : comment utiliser les protéines de lentilles d’eau pour l’alimentation humaine ?
Extraire les protéines de feuilles, un défi de taille !
L’idée d’utiliser des feuilles de plantes pour l’alimentation humaine remonte à la Seconde Guerre mondiale, dans un monde où on envisageait de nourrir les populations affamées avec cette source de protéines.
La RubisCO, principale enzyme impliquée dans le processus de photosynthèse et protéine présente en plus grande quantité dans les feuilles, a depuis longtemps attiré l’attention des scientifiques.
En plus d’être la protéine la plus abondante sur Terre, elle possède de nombreuses qualités. En effet, sa couleur pâle, son absence de goût et d’odeur, ainsi que son excellente composition en acides aminés font de la RubisCO l’ingrédient idéal pour l’industrie agroalimentaire.
Par exemple, saviez-vous que les premiers prototypes des célèbres « Impossible Burgers », burgers à base de plantes, étaient faits à base de RubisCO ?
Mais un défi majeur persiste : emprisonnée dans les cellules de la feuille, la RubisCO est entourée d’autres composés aux couleurs et aux goûts indésirables, ce qui limite son utilisation comme ingrédient alimentaire.
Bien qu’il soit possible de produire des farines concentrées en RubisCO, le processus implique de nombreux broyages, chauffages et séparations chimiques, chaque étape entraînant des pertes et des coûts. Ainsi, actuellement, pour obtenir un ingrédient utilisable en industrie, entre 75 % et 95 % des protéines présentes dans la feuille sont perdues.
Si l’on voulait produire quelques tonnes de cet ingrédient, la quantité de feuilles de lentilles d’eau à transformer serait astronomique, même pour ces championnes de la protéine.
Face à cette impasse, la RubisCO n’a donc jamais connu le succès alimentaire qu’elle mérite. Pour résoudre cette problématique, notre équipe de recherche a entrepris de libérer la RubisCO de ses entraves. Et nous y sommes parvenus !
Qui a dit que les maths, ça ne sert à rien ?
Notre équipe a mis un point un protocole expérimental novateur qui a abouti à la production d’une farine protéinée concentrée en RubisCO. Nous avons réussi à extraire 60 % de protéines, l’un des rendements les plus élevés jamais rapportés dans la littérature scientifique !
Notre secret ? Les mathématiques. Plus précisément, les plans statistiques.
Les plans statistiques sont des outils précieux qui permettent d’explorer les effets de multiples paramètres sur une réponse précise avec un nombre très réduit d’expériences.
En quelques mois seulement, nous avons ainsi identifié les conditions optimales en termes de pH, de température et de concentration pour maximiser l’extraction et la purification des protéines des lentilles d’eau.
Cerise sur le gâteau, ce concentré en protéines dispose d’excellentes propriétés indispensables pour tout bon ingrédient alimentaire : il est très soluble dans l’eau, est capable de former des mousses (comme des œufs en neige), des gels (semblables à des yaourts) ou des émulsions (telles qu’une mayonnaise).
Victoire !
Vers l’infini et vos assiettes
Nos travaux de recherche n’en sont encore qu’à leurs débuts. Mais nous entrevoyons déjà un avenir prometteur pour les protéines de lentilles d’eau.
Elles pourraient trouver de multiples applications en formulation d’aliments, mais également dans le domaine de la nutrition et de la santé humaine. Certaines des molécules qu’elles contiennent pourraient en effet contribuer à réduire l’hypertension artérielle.
En somme, grâce à leur haute teneur en protéines polyvalentes, les lentilles d’eau pourraient bien révolutionner nos assiettes. Et, surtout, contribuer à façonner un avenir alimentaire plus durable et nutritif pour tous.