22 août 2024
L’offensive ukrainienne en Russie, une arme de négociation pour la fin de la guerre
Cet article est tiré de The Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant qui publie des articles grand public écrits par des scientifiques et des universitaires, dont l'Université Laval est partenaire.
Un texte signé par Renéo Lukic, professeur à la Faculté des lettres et des sciences humaines
Depuis le 6 août 2024, l’armée ukrainienne mène une opération militaire d’envergure sur le territoire de la Russie, dans la région de Koursk, revendiquant le contrôle de quelque 92 localités sur 1250 kilomètres carrés.
Ça ne s’était jamais vu depuis le début de la guerre déclenchée par la Russie le 24 février 2022. L’offensive ukrainienne a pris l’armée russe au dépourvu. L’objectif de cette opération semble de contraindre les troupes de l’armée russe, concentrées présentement dans la région du Donbass, à se déplacer sur un autre front. Depuis plusieurs mois, l’armée russe réalise des gains tactiques dans cette région.
L’autre objectif de l’Ukraine vise à mieux la positionner sur le plan diplomatique, en vue de négociations avec la Russie pour mettre fin aux hostilités. Le changement de l’équilibre de force militaire sur le front, présentement en faveur de la Russie, est un préalable pour l’Ukraine.
En attaquant le territoire russe, l’Ukraine a élargi sa base de négociations. Désormais, sur la table des deux belligérants, on trouvera l’option « les terres ukrainiennes » en échange « des terres russes » présentement occupées par l’armée ukrainienne.
Professeur titulaire de relations internationales au Département d’histoire de l’Université Laval, la guerre en Ukraine et la réaction internationale vis-à-vis du conflit sont au centre de mes recherches.
Un premier sommet de la paix aux résultats modestes
Un « premier sommet de la paix » s’est tenu au Bürgenstock, en Suisse, le 14 et le 15 juin 2024, à l’initiative de l’Ukraine. Un mois plus tard, le 15 juillet, le président Volodymyr Zelensky a proposé la tenue d’un deuxième « sommet de la paix » qui devrait se tenir au mois de novembre dans un pays qui reste encore à déterminer.
L’objectif du premier sommet, où des représentants de 92 pays étaient présents, était de préparer le terrain pour les futurs pourparlers de paix entre l’Ukraine et la Russie.
Cette dernière était absente, car non invitée. La Chine, une solide alliée de la Russie, a refusé de participer par solidarité. Les résultats de ce sommet ont été plutôt modestes. La déclaration finale a été paraphée par 79 États appelant au respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Cependant, comme l’a souligné la présidente de la Suisse, Viola Amherd, la question « comment et quand impliquer la Russie reste ouverte ».
La menace Trump
Récemment, le président Zelensky s’est dit favorable à une présence de la délégation russe au prochain sommet de la paix. C’est un changement notable. Au même moment, Zelensky a dépêché en Chine son ministre des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, pour solliciter sa venue au prochain sommet.
C’était la première visite d’un ministre des Affaires étrangères ukrainien en Chine depuis le début de l'invasion russe. L’Ukraine souhaite ainsi que la Chine soit une médiatrice dans les futures négociations portant sur l’arrêt de la guerre.
Comment expliquer le changement de posture diplomatique du président Zelensky en moins d’un mois ?
Sur le plan de la politique internationale, le grand inconnu pour l’Ukraine est l’élection présidentielle américaine, qui a lieu en novembre. Une victoire de Donald Trump serait catastrophique pour l’Ukraine.
Ce dernier prétend toujours pouvoir terminer la guerre en Ukraine « en 24 heures », sans préciser comment.
Le colistier de Trump, le sénateur de l’État d’Ohio, J. D. Vance, a déclaré de son côté : « d’une manière ou d’une autre, je ne me soucie pas de ce qu’il se passe en Ukraine ».
Interrogé sur l’éventuel scénario de réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, le président Zelensky a fait un commentaire laconique : « travailler avec le président Trump sera dure, mais nous, les Ukrainiens, nous sommes des bosseurs ».
Réduire l’alliance Russie-Chine
Les prises de position de Donald Trump et de son colistier sur la guerre en Ukraine ont ainsi poussé Volodymyr Zelensky à chercher d’autres pistes diplomatiques pour sortir son pays d’une impasse militaire et diplomatique.
Il devient indispensable que l’Ukraine trouve d’autres partenaires diplomatiques que la communauté euroatlantique, certes une alliée existentielle, mais pas suffisante pour arriver à une paix juste en Ukraine.
L’objectif primordial des alliés de l’Ukraine est de réduire la coopération économique et militaire entre la Chine et la Russie. Au sommet de l’OTAN, qui s’est tenu à Washington, en juillet 2024, l’assistance de la Chine aux efforts de guerre russe a été vertement critiquée par les 32 États membres de l’organisation. Un appel solennel à la Chine a été fait dans sa déclaration finale. L’OTAN l’invite « à cesser de soutenir matériellement et politiquement l’effort de guerre russe, et notamment à cesser de transférer des biens à double usage, tels que des composants d’armes, des équipements et des matières premières, qui sont ensuite utilisés par le secteur de la défense russe ».
Faire le contraire, souligne l’OTAN, nuira à « ses intérêts et sa réputation ». Notons que sans l’aide apportée par la Chine, l’armée russe ne pourrait pas maintenir la même intensité de guerre en Ukraine. La politique étrangère de l’OTAN et de l’Union européenne (UE) sur le conflit est identique, puisqu’une vingtaine de pays sont membres des deux entités.
Josep Borell, le Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, a indiqué au ministre des Affaires étrangères chinois, lors de la conférence des États de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (Asean), le 26 juillet, que l’aide économique et militaire apportée à la Russie « avait un impact négatif sur les relations entre la Chine et l’UE ».
Une question économique
Pour la Chine, les bonnes relations avec l’UE sont d’une importance cruciale pour son économie. Les États-Unis ont déjà imposé d’importantes restrictions commerciales durant les présidences de Trump et de Biden. Un froid avec l’UE réduira l’influence globale de la Chine à la seule Asie. Les principaux partenaires commerciaux de la Chine demeurent les États-Unis et l’UE.
Malgré les avertissements lancés par les États-Unis et l’UE, il reste à voir si la Chine est prête à revoir sa coopération avec la Russie. Les dirigeants des deux pays l’ont qualifiée être « sans limites ».
En Europe, l’idée que l’Ukraine devrait entamer les négociations avec la Russie fait son chemin. Alexander Stubb, le président de Finlande et un supporteur inconditionnel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, croit que le retrait russe des territoires occupés en Ukraine ne devrait pas être un préalable au début de négociations entre les deux pays.
Près de trois semaines après le début de la contre-offensive ukrainienne en territoire russe, le rapport de force militaire sur le front a changé. Cela influencera les futures négociations de paix à venir entre les deux belligérants.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Depuis le 6 août 2024, l’armée ukrainienne mène une opération militaire d’envergure sur le territoire de la Russie, dans la région de Koursk, revendiquant le contrôle de quelque 92 localités sur 1250 kilomètres carrés.
Ça ne s’était jamais vu depuis le début de la guerre déclenchée par la Russie le 24 février 2022. L’offensive ukrainienne a pris l’armée russe au dépourvu. L’objectif de cette opération semble de contraindre les troupes de l’armée russe, concentrées présentement dans la région du Donbass, à se déplacer sur un autre front. Depuis plusieurs mois, l’armée russe réalise des gains tactiques dans cette région.
L’autre objectif de l’Ukraine vise à mieux la positionner sur le plan diplomatique, en vue de négociations avec la Russie pour mettre fin aux hostilités. Le changement de l’équilibre de force militaire sur le front, présentement en faveur de la Russie, est un préalable pour l’Ukraine.
En attaquant le territoire russe, l’Ukraine a élargi sa base de négociations. Désormais, sur la table des deux belligérants, on trouvera l’option « les terres ukrainiennes » en échange « des terres russes » présentement occupées par l’armée ukrainienne.
Professeur titulaire de relations internationales au Département d’histoire de l’Université Laval, la guerre en Ukraine et la réaction internationale vis-à-vis du conflit sont au centre de mes recherches.
Un premier sommet de la paix aux résultats modestes
Un « premier sommet de la paix » s’est tenu au Bürgenstock, en Suisse, le 14 et le 15 juin 2024, à l’initiative de l’Ukraine. Un mois plus tard, le 15 juillet, le président Volodymyr Zelensky a proposé la tenue d’un deuxième « sommet de la paix » qui devrait se tenir au mois de novembre dans un pays qui reste encore à déterminer.
L’objectif du premier sommet, où des représentants de 92 pays étaient présents, était de préparer le terrain pour les futurs pourparlers de paix entre l’Ukraine et la Russie.
Cette dernière était absente, car non invitée. La Chine, une solide alliée de la Russie, a refusé de participer par solidarité. Les résultats de ce sommet ont été plutôt modestes. La déclaration finale a été paraphée par 79 États appelant au respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Cependant, comme l’a souligné la présidente de la Suisse, Viola Amherd, la question « comment et quand impliquer la Russie reste ouverte ».
La menace Trump
Récemment, le président Zelensky s’est dit favorable à une présence de la délégation russe au prochain sommet de la paix. C’est un changement notable. Au même moment, Zelensky a dépêché en Chine son ministre des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, pour solliciter sa venue au prochain sommet.
C’était la première visite d’un ministre des Affaires étrangères ukrainien en Chine depuis le début de l'invasion russe. L’Ukraine souhaite ainsi que la Chine soit une médiatrice dans les futures négociations portant sur l’arrêt de la guerre.
Comment expliquer le changement de posture diplomatique du président Zelensky en moins d’un mois ?
Sur le plan de la politique internationale, le grand inconnu pour l’Ukraine est l’élection présidentielle américaine, qui a lieu en novembre. Une victoire de Donald Trump serait catastrophique pour l’Ukraine.
Ce dernier prétend toujours pouvoir terminer la guerre en Ukraine « en 24 heures », sans préciser comment.
Le colistier de Trump, le sénateur de l’État d’Ohio, J. D. Vance, a déclaré de son côté : « d’une manière ou d’une autre, je ne me soucie pas de ce qu’il se passe en Ukraine ».
Interrogé sur l’éventuel scénario de réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, le président Zelensky a fait un commentaire laconique : « travailler avec le président Trump sera dure, mais nous, les Ukrainiens, nous sommes des bosseurs ».
Réduire l’alliance Russie-Chine
Les prises de position de Donald Trump et de son colistier sur la guerre en Ukraine ont ainsi poussé Volodymyr Zelensky à chercher d’autres pistes diplomatiques pour sortir son pays d’une impasse militaire et diplomatique.
Il devient indispensable que l’Ukraine trouve d’autres partenaires diplomatiques que la communauté euroatlantique, certes une alliée existentielle, mais pas suffisante pour arriver à une paix juste en Ukraine.
L’objectif primordial des alliés de l’Ukraine est de réduire la coopération économique et militaire entre la Chine et la Russie. Au sommet de l’OTAN, qui s’est tenu à Washington, en juillet 2024, l’assistance de la Chine aux efforts de guerre russe a été vertement critiquée par les 32 États membres de l’organisation. Un appel solennel à la Chine a été fait dans sa déclaration finale. L’OTAN l’invite « à cesser de soutenir matériellement et politiquement l’effort de guerre russe, et notamment à cesser de transférer des biens à double usage, tels que des composants d’armes, des équipements et des matières premières, qui sont ensuite utilisés par le secteur de la défense russe ».
Faire le contraire, souligne l’OTAN, nuira à « ses intérêts et sa réputation ». Notons que sans l’aide apportée par la Chine, l’armée russe ne pourrait pas maintenir la même intensité de guerre en Ukraine. La politique étrangère de l’OTAN et de l’Union européenne (UE) sur le conflit est identique, puisqu’une vingtaine de pays sont membres des deux entités.
Josep Borell, le Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, a indiqué au ministre des Affaires étrangères chinois, lors de la conférence des États de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (Asean), le 26 juillet, que l’aide économique et militaire apportée à la Russie « avait un impact négatif sur les relations entre la Chine et l’UE ».
Une question économique
Pour la Chine, les bonnes relations avec l’UE sont d’une importance cruciale pour son économie. Les États-Unis ont déjà imposé d’importantes restrictions commerciales durant les présidences de Trump et de Biden. Un froid avec l’UE réduira l’influence globale de la Chine à la seule Asie. Les principaux partenaires commerciaux de la Chine demeurent les États-Unis et l’UE.
Malgré les avertissements lancés par les États-Unis et l’UE, il reste à voir si la Chine est prête à revoir sa coopération avec la Russie. Les dirigeants des deux pays l’ont qualifiée être « sans limites ».
En Europe, l’idée que l’Ukraine devrait entamer les négociations avec la Russie fait son chemin. Alexander Stubb, le président de Finlande et un supporteur inconditionnel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, croit que le retrait russe des territoires occupés en Ukraine ne devrait pas être un préalable au début de négociations entre les deux pays.
Près de trois semaines après le début de la contre-offensive ukrainienne en territoire russe, le rapport de force militaire sur le front a changé. Cela influencera les futures négociations de paix à venir entre les deux belligérants.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.